L’optimisme est une obligation morale !

Par Geoffrey Grandjean

« Il n’y a plus de jeunesse ». « C’était mieux avant ». Je ne crois pas en la véracité de ces deux affirmations et, en tant que professeur, j’ai toujours refusé de les utiliser. Je suis intimement convaincu que nous ne cessons de progresser, d’aller vers un monde meilleur, même si l’histoire nous montre que cela n’a pas toujours été le cas, que notre humanité a plusieurs fois cheminé vers l’inhumanité. Je veux croire que les êtres humains aspirent sans cesse à un monde meilleur, même si les forces de dissociation que suscitent leur égoïsme et leur aveuglement sont bel et bien actives – parfois trop actives !

Système planétaire, avec cinq volets à ouvrir, tiré de l’Étude géographique de Levi Walter Yaggy, 1887.

Je dois parfois reconnaître que le pessimisme me gagne de temps en temps. Je constate avec désarroi que nos différents systèmes politiques prennent à nouveau une direction conservatrice. Des droits et libertés que l’on pensait définitivement acquis sont remis en cause avec une déroutante facilité. Les hiérarchies et les dominations sont à nouveau vantées comme modèle d’organisation de la société. Les inégalités sont justifiées au quotidien, même par ceux qui en subissent les conséquences en première ligne. J’en veux pour preuve la légitimation quotidienne du discours fondé sur le mérite, devenu une valeur exaltée et justifiée, même par des citoyens et citoyennes issus de classes sociales défavorisées. Or, le discours méritocratique faisant croire que tout le monde peut s’en sortir et monter dans l’ordre hiérarchique social est un mensonge. Dans une société hiérarchique, il n’y a pas de partage du pouvoir et des richesses. Tout le monde ne peut donc pas accéder au sommet de la hiérarchie. Pendant que certains se complaisent dans un luxe décomplexé et incompréhensible sous l’angle du respect de la dignité humaine, ce procédé fallacieux permet efficacement d’endormir la « base » sociale, nourrie avec des mies de pain.

Toujours dans cette vague de pessimisme qui parfois m’envahit, il y a cet individualisme croissant qui m’exaspère au quotidien et dont la manifestation la plus tangible est l’absence de respect du Code de la route… exemple trivial s’il en est. Appréciant me déplacer à pied et à vélo dans ma si belle Cité ardente, ou quelques fois automobiliste lorsque je me rends sur la colline du Sart-Tilman pour y retrouver mes étudiants, je suis de plus en plus médusé par la volonté de domination des usagers et usagères de la voie publique. Selon moi, l’espace public se partage, mais il semble que je sois empreint d’une déconcertante naïveté. J’accepte alors que la loi du plus fort soit la règle et je redouble de prudence à pied, à vélo ou en voiture.

Mais alors, qu’est-ce qui me fait tenir ?

Dans le cadre de mon métier de professeur, j’ai face à moi quotidiennement, des jeunes âgés de 18 à 24 ans. Je me considère comme chanceux, bien que cette situation biaise certainement ma vision du monde. Avant de débuter chaque cours, je prends le temps de regarder ces jeunes face à moi, qu’ils soient 20 ou 900, et à chaque fois, le même sentiment m’envahit. Je me sens rassuré, pour ne pas dire réconforté. J’ai en effet face à moi les futures générations qui dessineront notre monde de demain. Je les vois souriants, motivés, toujours prêts à défendre une cause, bref, toujours engagés pour un monde meilleur. Un monde meilleur qui n’a pas une couleur politique déterminée. Je perçois bien qu’il peut être de gauche ou de droite, entre autres.

Cet engagement et cette soif d’un monde meilleur sont rassurants, car ils sont porteurs d’un optimisme que je côtoie donc quotidiennement et qui me fait tenir. Certes, le réchauffement climatique ne sera pas nécessairement réglé. Les inégalités ne seront pas systématiquement battues en brèche. Les guerres ne cesseront pas du jour au lendemain. Mais il y a chez ces jeunes une soif d’actions pour apporter leur pierre à l’édifice.

L’optimisme des jeunes que je partage est de pensée et d’action. Je me rends compte au jour le jour qu’il n’est pas seulement un trait inné de caractère, mais qu’il se nourrit également de volonté. L’optimisme présente une grande qualité : il se partage. Face aux pessimistes, aux complotistes et, j’ose l’espérer, face aux extrémistes, l’optimisme est une attitude redoutable pour désarmer nos contradicteurs. Autrement dit, si on souhaite un monde meilleur qui chemine vers le progrès permanent, alors l’optimisme est une obligation morale. Paradoxalement, cette obligation est moins contraignante qu’elle n’en a l’air. Elle est avant tout un état d’esprit aux conséquences pourtant majeures sur le monde.

Acceptons l’idée d’Antonio Gramsci selon laquelle nous sommes pessimistes avec l’intelligence, mais optimistes par la volonté, et au quotidien, nous saurons que faire au sortir de notre lit.

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