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Le référendum : une voie démocratique instrumentalisée ?

Par Gilles Rahier

Démocratie et référendum

Actuellement, la situation politique de l’Union Européenne est très précaire : contestation sociale grandissante ; modèle économique néolibéral critiqué ; tiraillement des partis d’extrême droite qui éclosent dans ses pays membres ; inefficacité partielle d’être un décideur au niveau mondial ; dissensions internes qui empêchent de mener une politique commune constante ; crise de confiance grandissante dans ses institutions ; problèmes économiques dûs à la crise, etc.

Avec l’arrivée contestée du TTIP (Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement) et la complexification de la situation grecque, le président de la Commission européenne, le luxembourgeois Juncker, nous prophétisait il n’y a pas si longtemps, qu’« […] il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens déjà ratifiés ». Déclaration « choc » qui illustre une réelle crise démocratique de notre système sociétal que, par ailleurs, l’on vend comme vision idyllique du monde. Or il reste à analyser la pertinence, l’efficacité et la légitimité de notre système démocratique car, comme l’a rappelé François Debras, la démocratie a acquis « une place tout à fait particulière puisqu’elle semble posséder le monopole de la légitimité écartant ainsi toute organisation politique alternative en Occident[1]». La démocratie représentative élective, où le peuple élit des représentants (la classe politique) pour se charger des fonctions législatives et exécutive, est le modèle qui a été choisi depuis longtemps pour définir la participation du citoyen à la « res publica », quasi uniquement par le vote périodique. Sans parler des alternatives possibles[2], ni des raisons de ce choix, on peut remarquer qu’actuellement, le référendum (et/ou la consultation populaire) reste un des seuls instruments de démocratie directe de nos sociétés occidentales.

Non sens unique (cc) Philipp Hertzog

Non sens unique (cc) Philipp Hertzog

La consultation populaire est beaucoup plus fréquemment utilisée[3], n’ayant pas de statut d’imposition légale. Par contre, à travers le référendum, la population impose son choix qui doit obligatoirement être mis en place par les autorités. Cependant, dans les faits, celui-ci est souvent détourné de son but premier, à savoir la souveraineté du peuple sur une question précise. Depuis les années 2000, au niveau européen, plusieurs décisions populaires exprimées par ce moyen ont été estropiées par les États.

Les référendums sur la Constitution européenne

Historiquement, au niveau européen, de nombreux référendums nationaux ont servi à appuyer l’établissement de traités : Maastricht en 1992 ; adhésion de la Finlande, Norvège et Suède lors de l’élargissement de 1994, élargissement de 2004, etc. Les réponses populaires appuient alors les accords gouvernementaux et offrent une légitimité accrue aux gouvernements lors de ces prises de décision.

Cependant, le développement du traité constitutionnel européen (Traité de Rome de 2004, transformé et simplifié en 2007 avec le traité de Lisbonne) modifiera profondément les manières de voir cet instrument démocratique. Chaque traité européen doit être ratifié par les états membres, selon les dispositions nationales : dans certains cas l’approbation parlementaire, dans d’autres le référendum populaire. Il doit donc être approuvé par tous les États membres, à l’unanimité, pour qu’il entre en application.

Des 4 référendums organisés lors de la ratification du traité de Rome, deux ont été positif (Espagne, Luxembourg) alors que 54,67 % des électeurs français et 61,6 % des néerlandais ont voté « non », en opposition avec la majorité de leur représentants politiques. Une des grandes interrogations fut la légitimité de ces votes, mais ils obtinrent des taux de participation plus que correct, de 62,8% pour les Pays-Bas à près de 70 % pour la France. En raison de ces refus et donc de l’impossibilité de ratifier le Traité, les instances européennes reformuleront leur Constitution (simplifiée mais fondamentalement semblable) pour la présenter de nouveau, sous le format du traité de Lisbonne.

(cc) Trainthh

(cc) Trainthh

Lors de la ratification de ce traité, après l’approbation par le Conseil de l’Europe, seuls les Irlandais furent appelés pour une ratification référendaire. Estimant qu’il ne s’agissait pas d’un traité structurel mais d’un « traité modificatif », le Parlement français opéra une révision constitutionnelle afin de passer outre le référendum populaire. De la même manière, aux Pays-Bas, le parlement ratifie cette fois-ci le traité, sans passer par la consultation populaire. En Angleterre, le référendum promis par l’ancien Premier ministre Tony Blair n’est pas mis en place par son successeur Gordon Brown[4]. Lors d’un premier vote, en juin 2008, les Irlandais rejetèrent le traité à 53,4%. Après un an de négociation et avoir obtenu certaines garanties, le gouvernement organise un second référendum en 2009, où le « oui » l’emporte largement.

Sans aller plus loin que le récent cas grec, on peut voir que finalement le seul système où le citoyen a un droit de vote sur une question spécifique, sans devoir déléguer ses droits, peut être détourné par la classe politique pour obtenir le résultat escompté, comme le remarque le journaliste Nicolas Truong : « Lorsque les citoyens votent négativement sur l’Europe, leurs Parlements sont chargés d’en corriger l’orientation. Lorsqu’ils votent contre, à l’image des Irlandais en 2008, l’Europe les somme de revoter[5]. »

Le cas du TTIP

Comme nous l’avons vu, d’une certaine manière, le référendum populaire a été détourné ou oublié pour faciliter l’approbation de certains traités européens. Cependant, l’utilisation du référendum se trouve présente dans la Constitution de nombreux pays appartenant à l’Union Européenne : Bulgarie, Danemark, Irlande, Grèce, Croatie, Lituanie, Pays-Bas, Autriche, France, Pologne, Roumanie, Slovaquie, Hongrie et Royaume Uni[6]. Pour la ratification du TTIP, nous retrouvons deux postures opposées, issues d’une approche idéologique. La Commission européenne aurait préféré que celle-ci ne passe que par le Parlement européen ; mais l’accord étant qualifié de « mixte »[7], les Parlements nationaux devraient se voir chargés de le ratifier, d’où la possibilité laissée aux États susmentionné d’appeler au vote référendaire pour son approbation.

Actuellement, de nombreux mouvements citoyens et politiques s’opposent à ce traité et appellent à faire pression sur l’Union Européenne pour empêcher sa ratification. La validité populaire du traité, qui est jugé obscur et négocié en secret par ses détracteurs, pourrait peut-être passer par le référendum ou la consultation populaire.

Instrumentalisé ?

L’objectif ici n’est pas de juger si le référendum est une voie démocratique viable ou non, mais de montrer que cet instrument démocratique peut être détourné de son but originel pour devenir un dérivé appelé le « plébiscite », qui sert seulement à instrumentaliser le vote de la population pour appuyer une politique déjà établie. Le référendum est alors utilisé comme moyen pour justifier une décision ou mettre une pression sur les instances internationales, comme dans le cas du référendum grec de cette année, mais sans réel portée politique. Comme le remarque le philosophe italien Giorgio Agamben : « Nous assistons aujourd’hui à la domination écrasante du gouvernement et de l’économie sur une souveraineté populaire qui a été progressivement vidée de tout sens[8]. » Dans la situation actuelle, le référendum est-il encore un instrument réel de décision ou est-il soumis au diktat du monde politico-économique comme moyen de légitimer ses propres décisions ? Chacun aura son avis…

  1. François Debras, « Critique et légitimité des démocraties occidentales contemporaines » in Aide Mémoire n°72, avril-juin 2015.
  2. Par exemple, certains mouvements proposent le tirage au sort comme alternative à l’élection. Voir le livre de David Van Reybrouck, Contre les élections, Actes Sud, 2014, et une analyse d’Olivier Starquit dans notre revue Aide Mémoire, n°67, p.1.
  3. En Belgique, il y a un antécédent de ce processus durant la question royale, en 1950. Le référendum n’est pas reconnu dans notre constitution, empêchant sa mise en œuvre.
  4. L’utilisation du référendum au Royaume-Uni constituerait tout un sujet en soi, notamment sur la sortie de l’Europe ou l’indépendance de l’Écosse.
  5. Nicolas Truong, « Une guerre des démocraties » in Le Monde, 6 juillet 2015.
  6. https://stop-ttip.org/wp-content/uploads/2015/07/Eschbach_Ratification-TTIP-CETA-in-EU-MS.pdf
  7. C’est-à-dire qui ne contient pas seulement des accords commerciaux.
  8. Cité dans Nicolas Truong, « Une guerre des démocraties »in Le Monde, 6 juillet 2015.