Emilio Lussu, La Chaîne - L’évasion de Lipari
Par Jean-Paul Bonjean
Voilà un bouquin qui mérite assurément de figurer au catalogue de la Bibliothèque insoumise des Territoires de la Mémoire. En effet, l’ouvrage d’Emilio Lussu a d’abord circulé sous le manteau, ayant provoqué l’ire et la gêne du régime fasciste qu’il dénonce.
En plein ventennio (période du fascisme italien), l’auteur, homme politique et écrivain, livre le récit sculpté au couteau de la montée du fascisme en Italie, de la dérive des institutions manipulées par le nouveau pouvoir et, enfin, de son évasion de l’île de Lipari sur laquelle il a été relégué plusieurs mois. Cette évasion a été ressentie comme un affront par le régime mussolinien qui considérait l’île comme particulièrement sécurisée.
La qualité de ce récit ressortit aussi bien à une intelligence décrivant un processus historique qui dépasse le simple cadre du témoignage qu’à sa capacité à épingler l’absurdité du fonctionnement de la machine fasciste et de ses apories : on retiendra ce compagnon de relégation qui, fort éloigné de la politique, se retrouve puni pour avoir vendu de la mussolina (mousseline) en place publique, chose que le tribunal spécial a condamné comme diffamatoire pour le Duce (Mussolini) !
D’origine sarde, l’auteur véhicule les valeurs du courage, de la colère hilare, et encourage à l’indignation civile. Il méprise l’arrogance impunie et la poltronnerie des soumis en pointant les compromissions trop faciles du quotidien. C’est donc une leçon qui nous est proposée mais une leçon utile, intelligente et enthousiasmante en ces temps où les résurgences d’extrême droite se font chaque jour plus précises.
Emilio LUSSU, La Chaîne - L’évasion de Lipari, 1929
Réédité en 2014 par La fosse aux ours pour la traduction française