La crise du Covid a laissé de nombreux stigmates, mais a aussi contribué à renforcer quelques poncifs. Parmi ceux-ci, on retrouve notamment l’idée selon laquelle la jeunesse serait toujours plus désintéressée de tout ce qui l’entoure, la chose publique en tête. Une jeunesse dont les seules boussoles seraient l’instantanéité et la superficialité. Comme souvent, le regard que pose une génération sur la suivante n’est pas spontanément bienveillant.
Et pourtant, l’époque nous y inviterait. Nous sommes nombreux à n’avoir jamais connu la guerre, sous aucune forme, et à avoir pu grandir et nous construire, si pas dans une insouciance complète, au moins dans un monde fait de perspectives. Et c’est peut-être bien cela qui, de façon réelle ou ressentie, a changé.
Récemment, l’émission Libres, ensembles, rendez-vous de la Laïcité sur les ondes de la Première, consacrait son sujet du jour à la santé mentale chez les jeunes et à l’impact de la crise du Covid. Le constat est édifiant. Témoignages et analyses se sont succédé, le tout mis en perspective par deux études récentes.
La première1 s’intéresse à la question du recours aux soins et montre que tous les indicateurs importants sont à la hausse : suivi psycho-thérapeutique, occupation des lits dans les services de pédopsychiatrie, consommation d’anti-dépresseurs…
La seconde2 est menée par trois universités (ULiège, UCL et ULB) auprès de 25.000 étudiant·e·s de l’enseignement supérieur. Là aussi, les résultats interpellent : plus de 50% présentent des signes cliniques de dépression ainsi que d’anxiété, de solitude, d’isolement et surtout de perte d’espoir en l’avenir. Il s’agit – contrairement là aussi à certaines idées reçues – d’une population qui a majoritairement respecté les règles, même les plus strictes. Dans quels buts, finalement ?
Aux confinements successifs se sont ajoutés des crises et phénomènes à répétition : climat, guerre en Ukraine, crise énergétique… Tout cela rend l’avenir profondément incertain et annihile la plupart des horizons et des perspectives d’une partie de la population qui en a pourtant profondément besoin.
Or, depuis quelques années, on observe une forme d’engagement, de militantisme ou d’embrasement autour de certaines causes chez beaucoup d’adolescent·e·s et de jeunes adultes. C’est un engagement certes protéiforme, parfois radical et souvent éphémère, mais notable. Il est en tout cas faux de parler d’une dépolitisation globale des jeunes.
Et certain.e.s de souligner d’ailleurs un niveau de compétence et d’éveil jamais atteint au sein de la jeunesse. Mais celle-ci en fait usage selon ses propres codes et avec ses propres aspirations, ce qui nous échappe parfois. Nous avons peut-être pris pour du désintérêt ce qui n’était en fait qu’une forme de défiance. De plus, c’est souvent la faillite d’un système qui est dénoncée, faillite dont leur génération n’est qu’assez peu responsable.
Les mobilisations pour le climat en sont des exemples parfaits. Et si certain·e·s laissent derrière eux quelques canettes vides ou utilisent leur smartphone pour faire une story sur Instagram, ce n’est pas grave. Parce que leur mobilisation est notable et que des petites contradictions sont toujours préférable à une grande inaction.
Et si beaucoup de DRH fustigent ces jeunes qui se permettent d’être exigeant·e·s concernant les emplois à pourvoir, c’est n’est pas grave. C’est qu’aujourd’hui, un travail doit avoir du sens et n’est plus une fin en soi. Ce n’est pas de l’insolence. C’est même réjouissant, à y regarder de plus près.
Et si aujourd’hui beaucoup de jeunes filles – et de jeunes hommes – se sont construit.e·s autour de #MeToo et le brandissent dès que nécessaire, c’est une victoire. Ça contribue à inverser un fonctionnement séculaire, et c’est le début d’un changement.
Même maladroits, ces actes de résistance ou de désobéissance sont à soutenir. Parce qu’ils sont avant tout politiques. Il nous faut, dès lors, faire confiance à cette génération, tout en lui proposant un maximum de clés pour les décennies à venir. Et en ce sens, les Territoires de la Mémoire ont un rôle à jouer. Cela rejoint l’essence même de notre association : aider à comprendre et à décrypter l’époque et ses discours ; proposer des éclairages, des rencontres et des outils pour mieux résister ; apprendre, simplement, que lire, c’est déjà un peu désobéir…
Et surtout, faire passer un message. Cessons de leur demander d’être résilients, aidons-les à être résistants et posons sur notre Jeunesse, en nous délestant de toute forme de paternalisme, un regard confiant et (effectivement) bienveillant.