Cent ans plus tard…

Par Julien Paulus, rédacteur en chef

Presque cent ans après l’arrivée au pouvoir de Benito Mussolini, le 31 octobre 1922, les urnes italiennes ont consacré le parti Fratelli d’Italia, à l’ascendance fasciste assumée, premier parti du pays. Avec 26% des suffrages, la formation emmenée par la très charismatique Giorgia Meloni renverse totalement le rapport de force au sein de la Coalition de centre-droit, composée avec la Lega de Matteo Salvini et Forza Italia de Silvio Berlusconi, coalition qui remporte la majorité absolue au sein des deux chambres du parlement italien.

Fondé en 2012, le parti Fratelli d’Italia est à la fois récent et fort ancien. Son apparition fut le fait d’une scission de plusieurs cadres de la frange conservatrice d’Alleanza Nazionale, le parti de Gianfranco Fini qui s’était autodissous en 2009 au sein de la coalition Il Popolo della Libertà, emmenée (déjà) par Silvio Berlusconi. Alleanza Nazionale, quant à lui, fut le continuateur du MSI (Movimento Sociale Italiano), fondé en 1946 et héritier direct de la Reppublica Sociale Italiana, plus connue sous le nom de « République de Salò », dernier avatar du régime fasciste italien.

La filiation ne fait donc aucun doute. Par une sorte de gigantesque manifestation de retour du refoulé de l’inconscient européen (ou s’agit-il de sa mauvaise conscience ?), c’est aujourd’hui un lointain rejeton du Parti national fasciste qui s’apprête, avec cent ans d’écart, à présider aux destinées de l’Italie. Si, comme le disait Marx, l’Histoire, vécue d’abord comme une tragédie, est destinée à se répéter sous la forme d’une farce sordide, cette dernière ne doit toutefois pas manquer de nous interroger. Tout d’abord, l’Italie n’est pas un cas isolé. Deux semaines plus tôt, c’est la Suède qui voyait la victoire d’une coalition de droite et d’extrême droite, au sein de laquelle, comme en Italie, c’est le parti des Démocrates de Suède, étiqueté à l’extrême droite, qui mène le jeu en termes de résultats électoraux : premier parti sur les quatre de la coalition, avec 73 sièges sur les 176 obtenus par la « majorité des droites ».

Ensuite, et à nouveau, la pâle figure affichée par les formations qui se revendiquent progressistes ne peut échapper à l’analyse. Or le constat est connu de longue date. Cela fait plus de dix ans qu’un intellectuel comme Frédéric Lordon a décrit la montée des extrêmes droites comme étant « le produit endogène des alternances sans alternatives1 », conséquence politique inévitable de l’antienne « toujours plus de la même chose », à laquelle, en cas d’échec, il sera toujours loisible d’ajouter « il suffit d’insister », pour paraphraser le psychologue américain Paul Watzlawick2.

Dès lors, cent ans plus tard, le même est de retour…

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