Une nécessaire prise de distance

Par Julien Paulus, rédacteur en chef

Comme annon­cé dans le numé­ro pré­cé­dent, la revue Aide-mémoire a fait peau neuve. Nou­veau for­mat, nou­velle maquette, mais sur­tout davan­tage de pages, donc de conte­nu, et une pério­di­ci­té pas­sant de tri­mes­trielle à semes­trielle. Si elle était sou­hai­table en regard de la longue sta­bi­li­té for­melle qu’a connue notre pério­dique, cette évo­lu­tion répond sur­tout et prio­ri­tai­re­ment à deux enjeux prin­ci­paux : la pro­fon­deur d’analyse et la prise de recul.

Le choix d’une thé­ma­ti­sa­tion sys­té­ma­tique des numé­ros d’Aide-mémoire a été posé en jan­vier 2015, et nous a per­mis de pas­ser d’une approche géné­ra­liste à un décryp­tage plus ciblé d’un sujet choi­si en comi­té de rédac­tion. L’augmentation sub­stan­tielle du nombre de pages répond à la frus­tra­tion sou­vent res­sen­tie de ne pou­voir explo­rer un plus grand nombre de facettes, appro­fon­dir une ques­tion ou élar­gir suf­fi­sam­ment l’éventail des points de vue pos­sibles sur une problématique.

Le pas­sage au semes­triel répond, quant à lui, à la pré­oc­cu­pa­tion, sans cesse crois­sante, de se reti­rer le plus pos­sible du flux de l’information, du com­men­taire, de l’expertise, pour pri­vi­lé­gier une ana­lyse plus glo­bale, plu­rielle et polysémique.

En cette période de déchaî­ne­ment média­tique, où la guerre suc­cède à la pan­dé­mie, où l’invective tend à l’emporter sur le débat, cette prise de dis­tance, que le tri­mes­triel ren­dait déjà pos­sible, mais que le semes­triel accroît encore, nous appa­raît d’une abso­lue nécessité.

Dans cette pers­pec­tive, la récente réédi­tion de Mein Kampf, par les édi­tions Fayard, se pro­po­sant d’« his­to­ri­ci­ser le Mal », fut l’occasion d’interroger le rap­port que notre socié­té entre­tient avec cette notion, sa mémoire et son éven­tuelle média­tion. Entre ultra-personnification de la figure malé­fique (his­to­rique, contem­po­raine ou fic­tion­nelle), fas­ci­na­tion (in)consciente ou ten­ta­tion d’en effa­cer jusqu’à la moindre trace, le Mal, appré­cia­tion morale et, à ce titre, fluc­tuante, constitue-t-il in fine un cri­tère d’analyse pertinent ? 

Car, pour para­phra­ser Mary Shel­ley, autrice de Fran­ken­stein : « Aucun homme ne choi­sit le mal pour le mal, il le confond avec le bon­heur, le bien qu’il cherche1. » Il s’agira donc de manier avec pré­cau­tion un concept à ce point insai­sis­sable qu’on puisse si aisé­ment le confondre avec son contraire.

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