C’est avec consternation que les défenseurs des droits de l’Homme du monde entier auront appris à la fin du mois de décembre 2021 la nouvelle de la liquidation de l’ONG « Memorial International », et de la dissolution de son Centre des droits humains en Russie. Rappelons que cette organisation, fondée il y a 30 ans par le prix Nobel de la paix Andrei Sakharov pour entretenir la mémoire des victimes des répressions soviétiques, jouait un rôle actif dans la conservation et la diffusion des témoignages de ces répressions, et s’était affirmée comme un centre, mondialement reconnu, d’étude et de documentation sur les camps du Goulag, la Grande Terreur de 1937-1938, les déportations, ainsi que la dissidence des années 1960-1980. Elle avait constitué une base de données de plus de 3 millions de victimes des répressions, avait assemblé un fond important d’archives privées léguées par les familles des victimes, et érigé des centaines de mémoriaux sur les charniers exhumés par ses membres1.
Le prétexte de la dissolution de Memorial International, par la Cour suprême de la Fédération de Russie, est d’avoir violé la loi sur les agents de l’étranger, en omettant dans certains cas de mentionner sur ses publications son statut – jugé infâmant selon Nicolas Werth2– d’« organisation faisant fonction d’agent de l’étranger ». Pour avoir dressé une liste des prisonniers politiques détenus actuellement en Russie (par exemple l’opposant Alexeï Navalny), et apporté son aide juridique et matérielle aux personnes victimes des violations des droits de l’Homme, notamment en Tchétchénie, le Centre des droits humains de l’ONG s’est quant à lui vu reprocher d’avoir voulu protéger des « extrémistes » et des « terroristes ».
Au delà des arguments juridiques, la véritable raison de la dissolution de Memorial et de son Centre est, comme l’a dit ouvertement le procureur général, « d’avoir présenté une histoire mensongère de l’URSS en tant qu’État terroriste et s’être complu dans la critique systématique des instances gouvernementales et des organes de la sécurité d’État3 ». En enquêtant sur les victimes des répressions soviétiques, ainsi que sur leurs bourreaux (non poursuivis jusqu’à ce jour), l’ONG Memorial allait à l’encontre du « récit historique officiel centré sur une vision glorificatrice de l’histoire nationale4 », la période soviétique étant présentée désormais comme une période globalement positive, caractérisée notamment par la modernisation du pays, sa victoire dans la Grande guerre patriotique, et son statut de grande puissance mondiale5.
On ne peut que s’insurger contre la disparition de cette ONG, qui s’était engagée dans le combat contre l’oubli, et œuvrait pour le développement d’une société civile dans une Russie démocratique.