Il existe une forme de pensée écologiste, propre à l’extrême droite, héritière du romantisme politique allemand du xixe et du début du xxe siècle, qui souhaiterait revenir au modèle civilisationnel et sociétal des sociétés païennes européennes. Cette forme d’écologie, que nous pouvons qualifier d’identitaire, est apparue dans les années 1970 dans le sillage de ce qui a été appelé la « Nouvelle droite ». Elle s’inspire de la « Révolution conservatrice » allemande, fort peu chrétienne, en particulier par sa frange la plus radicale, la mouvance völkisch, héritière du romantisme politique et dont le plus éminent représentant est le philosophe Martin Heidegger.
Nos différents travaux sur l’écologie d’extrême droite nous ont permis de relever cinq caractéristiques significatives qui permettent de définir ce qu’est l’écologie identitaire : 1/Elle se veut identitaire dans le sens où elle promeut la civilisation et les origines ethniques européennes dont il s’agit à la fois de retrouver les sources et de protéger sa pérennité (culturelle et ethnique). 2/Elle se veut enracinée : il s’agit de préserver les particularismes locaux et régionaux du grand ensemble ethnico-culturel indo-européen. La différence est acceptée dans le cadre d’une unité ethnique, historique et religieuse. 3/Elle se veut païenne. Le christianisme ayant mis à mal l’harmonie cosmique de l’Homme et de la Nature propre aux religions païennes indo-européennes, il s’agit de fermer la parenthèse chrétienne. 4/Elle se veut mixophobe : la « vraie » écologie (comprendre l’écologie identitaire) est une écologie des populations. Pour préserver les biotopes (comprendre les ethnosphères), il faut refuser à la fois l’installation de populations immigrées (allogènes) et le métissage sur le sol européen. 5/Elle se veut localiste : il s’agit de consommer les productions locales. Derrière cette défense des AMAP 1 et autres circuits courts, il s’agit de promouvoir une forme d’autarcie grand-continentale dans la continuité des théories national-révolutionnaires. Il s’agit également d’un rejet de la mondialisation économique et de l’uniformisation des pratiques culturelles.
L’écologie, déjà présente au sein de l’extrême droite depuis les années 1970, est devenue à compter des années 1990 un enjeu capital de celle-ci, avec l’évolution antimoderne (c’est-à-dire avec l’abandon de l’occidentalisme, très prégnant dans les années 1960 et 1970) des groupes les plus radicaux. En outre, cette forme d’écologie est associée à un refus de la mondialisation, les immigrés étant essentialisés comme des espèces invasives détruisant un biotope, en l’occurrence celui des peuples « blancs » (comprendre européens ou descendants d’Européens) qu’il faudrait préserver. Aujourd’hui, cette pensée d’extrême droite s’hybride avec les autres tendances de l’écologie politique, en particulier décroissantes, certains thèmes (localisme, antimondialisation, rejet de la technique, défense des peuples autochtones, etc.) devenant communs aux différentes formations écologiques.
Dès les années 1960, le journaliste et écrivain « socialiste européen », régionaliste et néo-droitier Jean Mabire, a pu écrire : « Je ne vois pas pourquoi il faudrait protéger les races animales et laisser périr les peuples tels qu’ils ont été façonnés par des milliers d’années de longue patience. La véritable écologie, c’est de sauvegarder les baleines. Mais aussi les Touaregs et les Zoulous, les Basques et les Serbes, les Flamands et les Bretons, les Écossais et les Estoniens ».
De fait, l’écologie d’extrême droite n’est pas coupée des autres tendances vertes. Dans les années 1990, des militants d’autres tendances de l’extrême droite, notamment la Nouvelle Droite, devinrent des membres du Mouvement Écologiste Indépendant d’Antoine Waechter. Ce fut le cas du militant identitaire Laurent Ozon dans les années 1990 et 2000. Il anima entre 1994 et 2000 une revue, Le recours aux forêts, expression de l’association Nouvelle Écologie, qui vit la participation de plusieurs figures importantes du mouvement écologiste. Il y eut des collaborations entre la Nouvelle droite et Teddy Goldsmith, le fondateur de la revue The Ecologist. Des décroissants participent, encore aujourd’hui, régulièrement aux publications de la Nouvelle Droite.
L’écologie de l’extrême droite est une quête d’un monde et d’une harmonie perdus sous les coups de la modernité technoscientifique et de la mondialisation des flux de population
Nous ne pouvons donc pas parler de « verdissement » de la pensée d’extrême droite, cette forme d’écologie existant depuis les années 1970 en France et dès les années 1950 en Allemagne, pour ne prendre que ces deux exemples. Certains cadres dénazifiés, comme le pasteur Werner Haverbeck et Renate Riemeck, médiéviste et ancienne secrétaire du SS Johann von Leers, en firent de nouveau la promotion dans les années 1970. En outre, il a existé en Allemagne une revue Wir Selbst (« Nous seuls »), fondée en 1979 et publiée jusqu’en 2002 par le strasserien (comprendre « nazi de gauche ») Henning Eichberg, décédé en 2017, dont la pensée peut se résumer par un refus de l’État-nation et une défense identitaire des particularismes ethno-régionaux. Elle servait de passerelle et de plateforme de discussion avec les autres formes d’écologie. Entre-temps, Eichberg a évolué politiquement vers l’extrême gauche, en gardant l’ethnorégionalisme. Toujours en Allemagne, il ne faut pas oublier que les néodroitiers allemands ont participé en 1980 à l’écriture du premier manifeste des Grünen, leur imposant certaines de leurs thématiques, comme le national-neutralisme.
Outre les aspects purement écologistes, il s’agit aussi d’une écologie des populations : ses promoteurs insistent sur la nécessité de considérer les populations humaines comme des espèces animales ayant chacune un « écosystème » qu’il faut préserver des « espèces invasives ». Dans cette logique, chaque grand groupe ethnoculturel doit rester dans son aire de civilisation, dans son biotope, pour continuer dans ce type de vocabulaire.
La généalogie de ce courant écologiste est à chercher dans certaines origines du mouvement écologiste contemporain, en particulier au sein de mouvements issus du romantisme politique, tels certains courants de la « Révolution Conservatrice » allemande, comme les völkisch, très antimodernes, à la fois technophobes et urbanophobes, c’est-à-dire qu’ils rejetaient les villes et la promiscuité inhérente. Ces völkisch sont apparus en Allemagne durant la seconde moitié du xixe siècle. La racine « Volk » signifie « peuple », mais le terme « völkisch » va au-delà de celui de « populaire » ou de « nation », avec un aspect communautaire, culturel et organique marqué. Les völkisch désiraient rétablir la pureté raciale et culturelle originelles du peuple allemand.
Cette nature, sauvage et vierge de son arraisonnement chrétien – ces écologistes d’extrême droite reprennent les postulats de Lynn White Jr. sur Les origines historiques de la crise écologique contemporaine – doit être préservée pour garder pure l’identité européenne : selon eux, l’Européen ne peut retrouver ses racines que dans une nature sauvage dans laquelle ils se dépasseront. De ce fait, ces militants font souvent la promotion de la randonnée ou de l’alpinisme.
En outre, ils revendiquent un antilibéralisme tant économique, philosophique que politique. Selon ceux-ci, le libéralisme, principal héritage des Lumières, étant à l’origine de la mondialisation et prônant l’universalisme, détruit à la fois les identités nationales et la nature par son éloge du marché sans entrave et son consumérisme productiviste. Le libéralisme y est vu comme une idéologie reposant exclusivement sur la liberté et l’individualisme, qu’elle soit économique ou politique, une liberté qui met en péril les modèles holistes des sociétés traditionnelles européennes.
En condamnant le libéralisme donc, à l’origine de nos sociétés modernes contemporaines, cette extrême droite peut être vue comme nostalgique d’un âge d’or, forcément holiste. Dans un tel système, l’individu n’existe pas en tant que tel mais s’insère dans un nœud de relations sociales, c’est l’organicisme. En ce sens, il s’agit également d’une forme de primordialisme. Le holisme écologique de l’extrême droite étend ces nœuds de relations au-delà de la sphère humaine pour englober l’environnement, dont il devient indispensable de défendre l’intégrité. Pour défendre une telle vision du monde, il devient nécessaire de s’émanciper de l’idéologie du progrès.
Nous retrouvons cette idée, associée à celle identitaire de la préservation de la race blanche, chez les promoteurs actuels de l’« écofascisme », comme Tarrant, pour qui l’essor technique met à mal les valeurs de la civilisation païenne européenne. Chez ces auteurs, la terre apparaît comme la source primordiale de l’élément nourricier, comme l’ordonnatrice d’un mode de civilisation traditionnel, qui aurait été mis à mal par l’avènement des sociétés industrielles. L’amour du terroir et la nostalgie d’une pureté perdue se combinent à une critique du capitalisme et, parfois, à une idéalisation des communautés organiques. Parallèlement à cette promotion romantique de la terre et des régions, ces militants conçoivent un néopaganisme, qui serait la réactivation des paganismes indo-européens de l’Antiquité européenne.
L’écologie de l’extrême droite est donc une quête d’un monde perdu, qui s’exprime au travers d’une conception précise du monde. Il s’agit d’une quête d’une harmonie perdue sous les coups de la modernité technoscientifique et de la mondialisation des flux de population. En ce sens, l’écologie de l’extrême droite est bien une forme de romantisme restitutionniste, cherchant à recréer, à réinventer les civilisations païennes de l’Antiquité européenne, mises à mal par un christianisme étranger, cosmopolite et sectaire. Cette forme d’écologie est donc loin d’être une mode ou un usage stratégique : elle est au contraire un point important, fondamental même, de leur pensée politique.