Le Forum des Jeunes est le porte-parole officiel des 16-30 ans belges francophones en Fédération Wallonie-Bruxelles. Il a décidé de s’intéresser au racisme auquel font face les jeunes dans leur vie de tous les jours. En avril 2024, un avis officiel sur la thématique du racisme a été publié et un groupe de jeunes s’est alors réuni. L’objectif : recueillir la parole de la jeunesse.
L’impulsion de ce projet est née de la montée du mouvement #BlackLivesMatter en Belgique, suite à la mort de George Floyd en 2020 aux États-Unis, et plus largement à la prise de conscience de l’ampleur des violences à caractère raciste commises par la police.
Les jeunes et le racisme
« On parle souvent de racisme inconscient ou de micro-agressions, mais je pense qu’il est important de savoir que le racisme ouvert et assumé existe encore aussi. J’ai une amie d’origine congolaise qui récoltait des fonds pour une association (job étudiant) à la gare de Liège lorsqu’un passant lui a dit qu’elle était une abomination due à la couleur de sa peau. Je ne nie pas l’impact énorme des micro-agressions constantes que les personnes racisées vivent, et c’était un choc pour moi de savoir que des personnes qui osent dire des choses pareilles et ont un avis pareil se promènent librement en société. »
Ceci est un des nombreux témoignages que le Forum des Jeunes a récolté lors de son enquête sur le racisme. Notre consultation nous montre que la jeunesse est consciente des mécanismes structurels sur lesquels s’appuie le racisme.
En effet, le racisme ne se résume pas aux discriminations et injures qu’une personne peut vivre, celles-ci en sont uniquement les formes les plus visibles. Le racisme est une idéologie qui crée une hiérarchie entre des groupes d’individus en fonction de leur origine, couleur de peau, ethnie, culture ou religion. Le racisme est donc un système global qui peut se manifester sous différentes formes (stéréotypes et préjugés, racisme décomplexé, racisme ordinaire…), à différents niveaux (individuel, institutionnel, sociétal…) et dans diverses sphères de la vie (famille, travail, école, espace public…) 1. En d’autres termes, le racisme est un système de domination qui désavantage, discrimine et violente les personnes racisées 2.
Les deux formes de racisme qui touchent et interpellent principalement les jeunes sont le racisme institutionnel et le racisme ordinaire, notamment à travers des micro-agressions ou sous couvert de l’humour.
Racisme ordinaire et micro-agressions incessantes
86 % des jeunes de notre enquête ont marqué leur accord avec l’affirmation suivante : « Dans la vie de tous les jours, le racisme est présent mais on ne le voit pas toujours clairement. »
« En fait, le racisme est partout et constant…tellement qu’à la fin, cela en devient banal pour tout le monde même pour moi. » Témoignage issu de l’avis « Du racisme en Belgique ? Non peut-être ! »
Selon notre enquête, 43 % des jeunes sont confronté·es, régulièrement ou quotidiennement, à des situations de racisme, et notamment à beaucoup de situations de racisme dit ordinaire. À la question « De façon générale, à combien de situations racistes es-tu confronté·e en moyenne par semaine ? », un jeune nous dit notamment : « Plus que 4, du racisme banalisé où les acteurs ne se rendent même pas compte qu’ils sont racistes ». Le racisme ordinaire, invisible ou indirect, est une forme de racisme assez insidieuse car souvent remise en question par les personnes qui n’en sont pas victimes, et parfois trop difficile à reconnaître pour les personnes qui en sont victimes malgré l’inconfort qu’elles peuvent ressentir vis-à-vis d’une situation particulière. Ce racisme se traduit souvent par des micro-agressions, à savoir « des paroles, des gestes ou des comportements d’apparence banale mais qui, en réalité, ont un caractère hostile, péjoratif ou insultant envers une personne ciblée parce qu’elle appartient à une communauté 3 ».
Souvent sous couvert de l’humour, les autres jeunes peuvent s’adonner à des micro-agressions à caractère raciste. « Les jeunes ont tendance à utiliser l’humour, ce qui fait passer le racisme pur à une forme passive. » Un autre jeune témoigne :« Il s’est retourné et a insulté mon camarade de sale nègre en rigolant puis a continué comme si de rien n’était et quand je lui ai demandé pourquoi il a dit ça, il m’a répondu : “pour rigoler” et a fini sa phrase en me disant que je n’avais pas d’humour. » Pour beaucoup de jeunes, « le racisme n’est souvent pas pris au sérieux, suivi du fameux “c’est une blague” ou “il faut pas le prendre comme ça…” ».
Racisme institutionnel
Notre enquête met en évidence une autre forme de racisme qui préoccupe les jeunes : le racisme institutionnel, particulièrement venant de la police. Ainsi, 66 % des jeunes répondant·es pensent que la police a des comportements discriminatoires envers les personnes racisées.
« Déjà, nous nous faisons harceler de contrôles au quotidien alors que nous n’avons rien à nous reprocher, et durant les contrôles, les policiers (pas tous, mais beaucoup) nous sortent des propos racistes comme “les gens de son espèce ça court vite”, “le macaque”, etc. » Témoignage issu de l’avis « Du racisme en Belgique ? Non peut-être ! »
« Où se plaindre quand même la police est parfois raciste ? » Témoignage issu de l’avis « Du racisme en Belgique ? Non peut-être ! »
Les différents témoignages recueillis sont illustratifs des interactions que les jeunes personnes racisées peuvent avoir avec la police. Ces faits ne sont pas anecdotiques, ils sont en réalité une représentation de ce qu’est le racisme institutionnel.
Le racisme institutionnel est une dimension particulière du racisme, en lien avec les institutions telles que la Justice, la police, les écoles, etc., qui permet de sortir d’une lecture individuelle du racisme pour adopter une vision plus globale des mécanismes structurels des inégalités 4. L’objectif n’est donc pas de distinguer les bons et les mauvais agent·es, mais bien de repenser l’entièreté du système, car le racisme au sein d’institutions telles que la police émane d’une société raciste qui permet ces actes (par la minimisation, la remise en question de la parole des victimes, la déresponsabilisation des auteur·es, voir l’acceptation des actes racistes…). Les différences de traitement, parfois inconscients, prennent leurs sources dans des représentations stéréotypées des groupes d’individus et permettent de perpétuer le racisme comme rapport de domination structurant la société.
La montée du racisme en Europe
En pleine campagne politique en Belgique et en Europe, la question du racisme est incontestablement liée à celle de la montée inquiétante de l’extrême droite, qui a la xénophobie et l’exclusion comme projet politique.
Bien que tentant de changer leurs discours, en passant de propos avec des connotations négatives (ouvertement excluants vis-à-vis des personnes étrangères) à un discours à connotation plus positive et alléchante pour le public (en parlant de préférence nationale, de protection de la population nationale et de sécurité face à la menace des migrations) 5, les mouvements d’extrême droite véhiculent toujours la même hostilité envers les personnes considérées comme ne faisant pas partie de la culture nationale.
L’objectif n’est pas de distinguer les bons et les mauvais agent·es, mais bien de repenser l’entièreté du système qui permet ces actes
« Jusqu’il y a pas longtemps, je pensais qu’on allait dans la bonne direction. Je me disais une fois que les vieux racistes, ils seraient morts, on aurait les jeunes progressistes. Et puis là, je traînais sur les réseaux et en fait, tu vois des générations de jeunes qui sont matrixés, qui pensent comme l’extrême droite, qui sont vraiment dans leur monde. Et là, je parle vraiment… Oui, ils sont vraiment dans leur monde et ça fait peur. Donc, ce n’est pas juste les vieux qui sont comme ça. Il y a même des jeunes qui sont comme ça et c’est effrayant. Donc oui, je suis très pessimiste. » J., 18 ans, témoignage issu de l’avis « Être jeune en 2023 »
La force de l’extrême droite aujourd’hui s’explique notamment par la dédiabolisation de leurs idées et leur banalisation. Cela passe, entre autres, par un positionnement de défenseurs des droits des personnes précaires, des femmes et des personnes LGBTQIA+ que prennent ces partis. Alors que si nous regardons de plus près les programmes de partis d’extrême droite comme le Vlaams Belang, nous comprenons très vite les ambitions conservatrices pour les femmes, qui sont renvoyées à la sphère domestique et à leur condition de mère 6 pour ne donner qu’un exemple. Ces arguments ne sont, en réalité, qu’une couverture pour prétendre être progressiste et tenter d’attirer de nouveaux électeurs et de nouvelles électrices.
Pour démystifier l’extrême droite et lutter contre le racisme, il est important d’informer et de sensibiliser sur les différentes stratégies utilisées pour banaliser ce type d’idées et montrer que des alternatives existent.
« Ouais, moi, j’aurais envie de leur [les politiques] dire de manière assez générale [pour] qu’ils puissent toutes et tous prendre conscience de l’ampleur des crises dans lesquelles on est pour le moment. Là, que ce soit autant la crise environnementale que la crise de confiance par la population. Et si les extrêmes montent, si l’extrême droite en Flandre fait des résultats de dingue, c’est parce que les gens ne se retrouvent plus dans ce système-là. Moi-même, parfois, moi-même qui suis beaucoup toutes les affaires politiques, etc., parfois, je me dis : mais pffff c’est énormément de parole et on ne voit pas les choses vraiment avancer. Il y a des choses qui avancent. On aurait envie que ça avance plus vite. » A., 24 ans, témoignage issu de l’avis « Être jeune en 2023 »
Comment lutter contre le racisme ?
Un premier pas dans la lutte contre le racisme est la sensibilisation de la société et des acteurs et actrices qui la constituent afin de reconnaître les situations dans lesquelles les jeunes sont témoins ou victimes de racisme – ordinaire ou pas – et de pouvoir réagir adéquatement.
Par sensibilisation, nous entendons la formation mais aussi l’écoute. En effet, il est essentiel que les acteur·rices, tant institutionnel·les que citoyen·nes, se déconstruisent et se forment sur cette problématique. Le racisme est profondément ancré dans notre société et se manifeste dans différentes sphères de notre vie. Il est crucial de mener un travail approfondi au sein des institutions qui structurent notre société, comme l’école, afin de déconstruire les stéréotypes et de promouvoir l’inclusion. De plus, il est important de libérer la parole des associations de terrain et des individu·es racisé·es. Les associations, souvent dirigées par des personnes directement concernées, jouent un rôle clé dans la déconstruction des préjugés et des discriminations. Le témoignage des personnes racisé·es est également un vecteur puissant pour le changement, comme le démontrent notre enquête ou d’autres mémorandums d’associations de terrain qui proposent des recommandations détaillées.
L’enquête du Forum des Jeunes explicite de nombreuses pistes d’action concrètes pour mieux comprendre les enjeux liés à la lutte contre le racisme et pour bâtir un avenir où chacun·e se sente en sécurité, non discriminé·e et respecté·e.
Consultez notre avis sur forumdesjeunes.be