Élections 2024 : des cafés politiques de BePax à une nécessaire veille active sur le long terme

Par Gauthier de Locht Chargé d’étude et d’animation – BePax

La diffusion d’un racisme décomplexé est devenue un phénomène de plus en plus préoccupant à mesure de la banalisation de l’extrême droite. C’est dans ce contexte que nous votons en 2024 à tous les niveaux de pouvoir. C’est pourquoi BePax déploie un projet qui a commencé par des cafés politiques pour déboucher sur un programme à long terme de veille et plaidoyer politique par rapport à la question du racisme dans les discours politiques et les médias et au respect de l’État de droit et de la législation anti-discrimination en particulier.

Le contexte

Le contexte anxiogène de crises sans fin (crise climatique, crise sanitaire, crise de l’énergie, crise du pouvoir d’achat…) que nous connaissons est un terreau fertile pour voir émerger entre autres des propos de haine, de xénophobie, de racisme dans une société à la recherche de réponses claires et simples, voire simplistes, à des problèmes complexes. Ces discours de rejet sont de plus en plus banalisés et gagnent en visibilité, renforçant ainsi l’idée que ces rhétoriques sont acceptables, voire légitimes.

L’extrême droite a su profiter de ce contexte en retravaillant son image. Loin de s’opposer formellement à la démocratie, selon François Debras 1, elle se présente au contraire comme sa défenseuse en proposant un discours anti-élitiste, populaire, anti-système, souverainiste, nationaliste et une alternative à la mondialisation.

L’extrême droite a longtemps été marginalisée et stigmatisée en Europe après le traumatisme de la Seconde Guerre mondiale accompagnée des idéologies nazie et fasciste. En Belgique, bien que l’extrême droite soit présente dans le paysage politique, surtout en Flandre, tous les partis « traditionnels » belges ont instauré un cordon sanitaire politique au niveau fédéral empêchant toute coalition avec elle, doublé d’un cordon sanitaire médiatique en Belgique francophone. Malgré ce cordon sanitaire, parfois bien fragile, les idées de l’extrême droite s’insinuent dans les discours et programmes politiques et parfois se concrétisent dans les décisions politiques à différents niveaux.

De fait, la porosité de l’idéologie d’extrême droite se manifeste entre-autres par l’effritement de l’État de droit. Il suffit pour s’en rendre compte de prendre connaissance du nombre de condamnations de la Belgique et des décisions de justice non respectées par l’exécutif 2. Cela a de quoi nous alerter.

Les cafés politiques de BePax

En tant qu’organisation d’éducation permanente qui lutte contre les discriminations raciales, BePax est particulièrement attentif à ces phénomènes, d’autant plus quand ces glissements (populistes, anti-démocratiques, illégaux, nationalistes et racistes) se manifestent dans un contexte pré-électoral, avec par exemple l’adoption par le Parlement fédéral belge de la loi « Frontex » le 2 mai dernier.

C’est pourquoi BePax a proposé des cafés politiques de mars à juin 2024 comme des espaces de réflexion pour repérer et décrypter la porosité des propos populistes et racistes d’extrême droite dans les discours et prises de position des partis dits traditionnels, dans les contenus des médias et dans les déclarations d’organisations diverses. Nous avons conçu ces 5 premiers cafés politiques comme la première étape introductive d’un processus à long terme que nous décrivons plus loin.

La participation à ces soirées était ouverte à tou·tes. Nous avons utilisé l’arpentage, méthode qui permet de découvrir collectivement un document ou un corpus de documents, en vue de leur appropriation critique, nous amenant à des réflexions, des questionnements, des débuts d’analyses, dans une approche d’éducation permanente. Nous avons été puiser les contenus dans différentes sources : articles de journaux, études, lettres ouvertes, extraits d’émissions radio ou télévisuelle, posts sur réseaux sociaux, programmes politiques…

Le contexte anxiogène de crises sans fin que nous connaissons est un terreau fertile pour voir émerger des propos de haine, de xénophobie, de racisme dans une société à la recherche de réponses claires et simples à des problèmes complexes

Les thématiques abordées ont été (1) le discours autour du wokisme, (2) les violences policières à caractère raciste et les réactions politiques, (3) la lutte contre l’islamophobie et sa (non) prise en compte dans les programmes politiques, (4) les mouvements étudiants pro-palestiniens et le coup de projecteur médiatique sur l’ULB le 7 mai dernier et (5) le vote de la loi « Frontex » le 2 mai dernier autorisant l’intervention d’agents de Frontex sur le sol belge.

Les cafés politiques ont permis aux participant·es de constater la présence de deux courants dans la société qui semblent contradictoires. D’une part, un courant qui vise la reconnaissance de certains droits (loi sur les discriminations cumulées et intersectionnelles, renouveau des mouvements pour les droits de communautés minorisées, mobilisation pour lutter contre les dérives du capitalisme provoquant le dérèglement climatique, mobilisation citoyenne pour la défense du peuple palestinien, collectifs citoyens pour accueillir les migrant·es…), et d’autre part, un courant avec la montée des populismes, de simplismes, de replis identitaires, une récupération sémantique de la démocratie… et leur percolation dans les discours des partis « traditionnels ». Cela n’en reste pas aux mots. Ils se traduisent dans la réalité par des politiques, en particulier en matière d’asile et migration.

Collectivement, nous avons aussi pu observer que la banalisation des discours d’extrême droite a des conséquences graves sur la dégradation de l’État de droit, légitime et renforce le racisme structurel et systémique présent dans notre société. En effet, l’État se permet ouvertement de ne pas respecter des décisions de justice, par exemple par rapport à sa politique d’asile et migration. Et il adopte la loi « Frontex » le 2 mai de cette année sachant les très nombreuses controverses 3 dont cette agence européenne fait l’objet, la mieux financée et la moins contrôlée.

Élections du 9 juin

Bien que prévisible et annoncée, la victoire électorale des nationalistes et de l’extrême droite en Flandre (NV-A et Vlaams Belang) et la victoire en Wallonie et à Bruxelles, d’une droite décomplexée entre autres sur les questions liées aux discriminations à caractère raciste et au non-respect des droits des personnes migrantes, nous sommes conscients de notre devoir de vigilance, de lucidité, d’engagement, de résistance et d’alliance, face aux résultats des élections régionale, fédérale et européenne.

La suite…

Après la première série de cafés politiques qui précédaient les élections du 9 juin, nous allons continuer sur notre lancée en septembre et octobre avant les élections communales et provinciales du 13 octobre. Les travaux entrepris pas les cinq premiers cafés vont être prolongés dans un premier temps lors d’un événement avec des intervenants externes et l’organisation de plusieurs cafés politiques avant les élections.

Ensuite, notre ambition est de constituer un groupe de réflexion et d’action pérenne qui fera un travail de veille et de plaidoyer politique, particulièrement attentif aux projets des différents gouvernements en formation, aux atteintes possibles aux droits fondamentaux de l’ensemble des personnes minorisées ainsi qu’au respect des lois anti-discrimination existantes. En déployant sa mission de plaidoyer, BePax entend aussi faire évoluer les lois et les mécanismes de lutte contre les discriminations afin que ceux-ci reflètent les réalités du racisme systémique.

BePax est déterminé à continuer à lutter en alliance avec d’autres organisations de la société civile et collectifs citoyens et au sein de coalitions (NAPAR au niveau national et ENAR au niveau européen) ainsi qu’au sein du Conseil Bruxellois pour l’Élimination du Racisme, pour la défense d’un État de droit, une société inclusive et ouverte, un régime démocratique qui se réforme et se remet en question pour une réelle participation de tou·tes ; contre le populisme et les simplismes, le nationalisme exclusif jouant sur les peurs et les angoisses d’une population qui, si elle est diversifiée, se rend compte que l’on arrive à la limite d’une logique politique, économique et écologique mortifère.

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