Le parcours que nous allons étudier dans cette chronique illustre combien l’extrême droite s’ancre dans la tradition réactionnaire, et n’a absolument pas disparu lors de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Son rejet de la gauche et de ses valeurs, sa xénophobie, sa défense des traditions… sont autant de marqueurs idéologiques permanents sur le dernier siècle écoulé.
Un parlementaire qui s’assume d’extrême droite
Xavier Vallat (1891-1972)1 vient d’un milieu rural très catholique de l’Ardèche, mais avec un père instituteur et la possibilité de faire des études pour devenir professeur puis avocat. Dès la fin de son adolescence, il milite au sein de groupements catholiques et est sympathisant de l’Action Française de Charles Maurras. Mobilisé, il est gravement blessé durant la guerre 14-18. Au lendemain de celle-ci, il est élu au parlement où il va évoluer de plus en plus à droite. Défenseur de l’enseignement catholique, dénonciateur de la franc-maçonnerie et de la gauche, son antisémitisme se fait réellement jour lors de l’arrivée au pouvoir de Léon Blum, en 1936. Sous Vichy, il est d’abord nommé secrétaire général aux anciens combattants, et à ce titre responsable de la Légion française des combattants, avant de prendre, en mars 1941, la tête du Commissariat général aux questions juives. Il est remplacé à ce poste en mai 1942, sous la pression des Allemands qui le trouvent encore trop mou. Il continue cependant à exercer un rôle dans les cercles de pouvoir de la collaboration. Condamné en décembre 1947 à seulement dix ans de prison, il est déjà libéré deux ans plus tard ! Il ne renonce ni à ses engagements, ni à la politique, et collabore après-guerre à l’hebdomadaire royaliste Aspects de la France dont il assumera la direction de 1962 à 1966.
Son appartenance à l’extrême droite, Vallat l’assume pleinement dans ses mémoires parues en 1957. Dès les premières pages, il dénonce la supposée trahison du Mouvement républicain populaire (MRP), parti de centre-droit de l’après-guerre : « tels ont été pendant les quatre années funestes 1944-1948 les successeurs de l’honorable et glorieuse Vieille droite » ; et qualifie cette période de « guerres civiles françaises » dont les « massacres » auraient dépassé la Terreur de 1793 2. Et de préciser avec qui il siégeait à la Chambre (p. 49) : « Car il y avait une extrême-droite, peu nombreuse, mais pleine d’allant, dans cette Chambre bleu-horizon. Non seulement Paris avait envoyé siéger au Palais Bourbon Léon Daudet (…) non seulement l’Ouest conservateur avait donné des majorités massives à des royalistes déclarés (…) mais le Midi “blanc”, grâce à la proportionnelle, avait retrouvé des élus d’extrême-droite (…) Bref, vingt-sept députés royalistes, conservateurs ou catholiques intransigeants s’étaient groupés autour de M. de Gailhard-Bancel et avaient constitué le groupe des “indépendants de droite”. Séparés par des nuances, ils étaient pleinement d’accord sur les problèmes essentiels (…) ». Ou encore plus loin, évoquant une délégation demandant audience à Poincaré (p. 66) : « notre délégation comprenait une demi-douzaine de membres de l’extrême-droite, dont aujourd’hui je suis le seul survivant ». S’il précise qu’il n’a jamais appartenu à l’Action Française, il demande néanmoins à Maurras de préfacer son ouvrage et prophétise (p. 92) : « L’Action française rajeunie, renaîtra-t-elle, un jour, comme un surgeon oublié au pied du chêne foudroyé ? C’est probable. Ce qui est certain, c’est que la pensée de son maître fécondera longtemps les esprits ».
L’influence de l’Action Française, fondée en 1899, est encore très importante au lendemain de la Première Guerre mondiale (p. 83) : « Ce succès était concrétisé à Paris par un fait incontestable : le Quartier Latin, dans l’entre-deux guerres, appartenait à l’Action Française (…) En face du maître de la pensée qu’était Maurras, du maître de l’action qu’était Daudet, du maître de la réflexion qu’était Bainville, qu’avaient à opposer les diverses chapelles républicaines ? La subtilité talmudique de Léon Blum ? » Son parcours de l’époque va le voir d’abord rejoindre Georges Valois, au sujet duquel il écrit (p. 130) : « Pour le mouvement même, il trouva un autre nom : le Faisceau. Cela ressemblait bien un peu trop à un plagiat, mais on n’avait pas encore inventé les “fâchistes” assassins. »
Il le quitte cependant rapidement pour s’inscrire aux Croix de Feu en 1928 (p. 132) : « Du fait de leur mode de recrutement, les Croix de Feu avaient un effectif sélectionné, mais peu nombreux. La section du 6e arrondissement, où j’étais inscrit, ne comptait guère qu’un quarteron d’adhérents recrutés dans un milieu modeste de petits commerçants et d’employés, braves gens restés fiers de leurs services de guerre, microcosme sympathique du menu peuple de Paris. » Bref, une petite bourgeoisie qui est le cœur sociologique de l’extrême droite. Mais, très vite (p. 136) : « d’un mouvement désintéressé, l’ambition du colonel de La Rocque, aidée par la haine et la peur qu’il avait suscitées à gauche, allait faire un parti politique de plus ». Vallat rejoint alors la FNC (p. 143) : « Ce fut un applaudissement unanime chez les catholiques français quand ils apprirent, à l’automne 1924, que la Fédération Nationale Catholique était fondée et que le général de Castelnau en prenait la présidence (…) J’y siégeai jusqu’en 1937 (…) Galvanisée par un tel chef, la résistance catholique s’organisa rapidement dans toute la France. » Celle-ci connaît un rapide et grand succès et ne se transforme pas en parti, mais reste un mouvement donnant des consignes de vote : « Le pays réel avait réduit au silence le pays légal ».
Durant toutes ces années, Vallat se pose en défenseur des « libertés religieuses » pour lesquelles il multiplie les meetings et écrits. Cet engagement s’inscrit dans la défense des traditions, de la France, qui seraient menacées (p. 115) : « Non, la manifestation du 6 février ne fut pas un complot ; il ne fut que le sursaut d’indignation d’un peuple honnête contre des mandataires qu’il découvrait pourris jusqu’à la moelle. » Et dans un cadre où le gouvernement de Front Populaire est vu comme une catastrophe (p. 128) : « Le 16 mai 1936, le Front populaire remportait une victoire écrasante. Sa victoire allait apporter aux Français le rationnement, la guerre, l’occupation et le dirigisme.3 »
Une défense de Vichy qui masque mal un antisémitisme réel
Au vu de son parcours et de ses responsabilités sous Vichy4, Vallat ne fait pas l’économie de consacrer de nombreuses pages à cette période et plus encore au « problème juif ». Car même s’il commence par prendre des précautions (p. 219) : « Il est entendu qu’aux yeux d’un démocrate occidental, il n’y a pas de problème juif. Seuls des esprits rétrogrades, plongés dans l’atmosphère d’intolérance et d’obscurantisme du moyen-âge, sont capables d’imaginer que la présence d’une certaine proportion de juifs dans un État peut constituer pour lui un danger politique, et qu’il convient de parer à ce danger par une législation spéciale », et qu’il dénonce « l’effroyable tentative de “liquidation physique” du juif entreprise par le régime hitlérien », il enchaine rapidement sur la longue histoire de l’antisémitisme dont il reprend tous les poncifs en insistant sur le fait qu’il n’est pas « anti-juif parce que xénophobe (la “xénophobie” ne signifiant pas en grec “la haine de l’étranger”, mais la méfiance, la crainte de l’étranger) ». C’est dans ce cadre qu’il a dû agir, tout en essayant de protéger la France contre l’Allemagne, fidèle à la théorie du « bouclier » et du « moindre mal » développée par les avocats de Pétain lors du procès de celui-ci, et dont use et abuse l’extrême droite depuis pour relativiser voire nier son implication (p. 251) : « La preuve peut être facilement faite que l’action du Commissariat Général, sous ma direction, eut pour but d’empêcher le contrôle de l’envahisseur, de lui soustraire tout ce qui pouvait être soustrait, et de veiller à ce que l’Économie nationale ne subisse aucun méchef du fait de l’aryanisation ». Mais cette précision n’enlève rien au fait que, pour Vallat, il y avait trop de Juifs en France et qu’ils avaient pris trop d’influence, justifiant donc les mesures prises à leur encontre (p. 231) : « On peut évaluer sans trop d’erreur à 60 ou 70 000 le nombre de juifs résidant en France, dont le père était né citoyen français. Les 230 ou 240 000 autres étaient étrangers ou naturalisés de fraîche date ». La plupart concentrés sur Paris, et surtout dans les métiers de l’habillement, sans oublier « les deux grandes professions libérales, la médecine et le barreau, [qui] étaient envahies par les Juifs ». On notera la contradiction, mais qui permet d’en faire des ennemis partout, entre les deux passages sur les professions exercées. Contradiction appuyée quand Vallat reprend ce que nous lisions déjà chez Ford dans notre précédente chronique, et qui est un classique de l’antisémitisme (p. 232) : « Si nous quittons le domaine purement économique pour les entreprises consacrées aux satisfactions, plus ou moins élevées, de l’esprit, nous constatons que l’édition, le cinéma, la radio, la presse, le théâtre servent de plus en plus de champ d’activité aux fils d’Israël ; et c’est singulièrement plus grave. »
La défense de Vichy va évidemment au-delà de son propre bilan et insiste sur la rupture bénéfique (p. 190) : « On a abattu autrement de besogne dans ces bureaux improvisés où s’entassait un personnel qui ne songeait pas à réclamer des heures supplémentaires, que dans les centaines d’immeubles réquisitionnés par la IVe République pour abriter des fonctionnaires innombrables, en perpétuelle instance de grèves revendicatrices » ; et sur la légalité du régime du Maréchal (p. 180) : « La réunion du samedi 6 groupait déjà plus de deux cents députés ou sénateurs. Laval, après avoir une fois de plus fait le point, indiqua que l’Assemblée du 10 aurait à se prononcer nettement sur la révision de la Constitution dans un sens bien déterminé : renforcement de l’autorité de l’exécutif avec en contrepartie une responsabilité personnelle des ministres, réforme des mœurs parlementaires, arrêt de la démagogie financière, décentralisation des pouvoirs administratifs, et rétablissement des valeurs morales. Rien n’était plus net, et les parlementaires qui suivirent Laval quatre jours après cet exposé, ne peuvent pas dire qu’ils ont acheté un chat en poche. »