Dimanche 2 décembre 2018 à Bruxelles, rappelez-vous : 65 000 personnes1 étaient rassemblées qui participaient à une « marche pour le climat ». Malgré le temps maussade, des milliers de Belges s’étaient rendus, en famille ou entre ami·e·s, à cet évènement fédérateur. Voir autant de personnes défiler dans les rues entre la Gare du Nord et le parc du Cinquantenaire avait quelque chose d’énergisant… et était porteur d’espoir.
Pourtant saluée par différents responsables politiques qui promettaient le soutien d’objectifs climatiques ambitieux, cet acte politique citoyen ne changea rien. Deux jours plus tard, ces mêmes représentant·e·s politiques2 firent un pied de nez à tous ces marcheurs et marcheuses en votant, en conseil des ministres européens, contre une proposition de directive sur l’efficacité énergétique et en préférant s’abstenir quant à la directive sur les énergies renouvelables3.
Un an plus tard, le groupe de réflexion indépendant InfluenceMap publiait un rapport de recherche4 dénonçant le montant dépensé par les plus grosses compagnies pétrolières (les cinq plus grosses compagnies pétrolières, cotées en bourse, sont Exxon Mobil, Shell, Total, BP et Chevron), sur la période de trois ans qui a suivi la signature de l’Accord de Paris en 2015, lors de la COP 21. Ces cinq sociétés auraient investi plus d’un milliard de dollars pour établir une stratégie de lobbying et de greenwashing5. En communication, cette pratique est conceptuellement définie par Parguel et al. (2011), comme « l’utilisation d’arguments écologiques partiellement faux, exagérés, ou peu clairs, afin d’induire les consommateurs en erreur quant aux pratiques environnementales d’une entreprise ou aux bénéfices écologiques d’un produit ou d’un service6 ». Pour rappel, l’accord signé lors de la COP21 stipule que les différents signataires s’engagent à entreprendre des modifications de leur politique afin d’atteindre différents buts à long terme comme la réduction des émissions de gaz à effet de serre afin de limiter l’augmentation de la température globale à +1,5°C par rapport au niveau préindustriel, d’ici 2100 et également à fournir des financements aux « pays en voie de développement » pour atténuer les effets du changement climatique et les accompagner dans les adaptations nécessaires pour y faire face7.
Ces exemples illustrent la pratique de double discours qui est mobilisée, tant par nos responsables politiques que par ces entreprises pétrolières, et témoignent ainsi de l’écart flagrant entre d’une part les discours, et d’autre part les pratiques et les réformes réellement mises en place du point de vue de la lutte contre le changement climatique. Pourtant, ce sont les activistes et militant·e·s écologistes qui sont décriés dans différents médias et par certain·e·s responsables politiques, tant leurs actions dérangent. D’autres exemples de double discours existent, notamment en France, ou plus localement dans le cadre de la controverse liée à l’implantation d’une filiale Alibaba et à l’extension de Liège Airport où différents collectifs et citoyen·ne·s rassemblé·e·s en front commun (Stop Alibaba) pointent notamment l’incohérence de la réalisation d’un tel projet avec les engagements des pouvoirs publics quant au changement climatique.
Sur qui donc pèse la responsabilité du sabotage d’un futur viable tant pour les humains que les non-humains ?
Récemment, des activistes, lassé·e·s et inquiet·e·s face à l’inaction politique, en sont venus à utiliser leur corps pour manifester, par exemple en se couchant au travers d’une route lors d’une épreuve sportive, ou en se gluant la main à des tableaux dans des musées, pour attirer l’attention sur l’urgence du problème. Des discours médiatiques et politiques ont cependant sapé la légitimité de telles actions en les taxant de « radicales », de « contre-productives »8 ou carrément « d’écoterroristes », terme utilisé notamment par Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur français, concernant une manifestation qui a eu lieu à Sainte-Soline contre le chantier d’une mégabassine à la fin du mois d’octobre 2022.
Alors, j’invite chacune et chacun à se questionner sur ceux qui finalement sont vraiment les responsables de pratiques mortifères et contreproductives d’un point de vue écologique. En effet, si le sabotage est entendu comme le fait de nuire de manière volontaire au bon fonctionnement ou au déroulement normal d’une activité, il semble opportun de s’interroger sur les pratiques de sabotage qui mettent en péril la lutte contre le changement climatique. Lorsque des groupes économiques, ici des groupes pétroliers (mais ces pratiques existent dans d’autres domaines économiques et poussent le consommateur à l’achat en lui présentant un produit comme durable alors qu’il n’en est rien), pratiquent le greenwashing et un important lobbying auprès d’institutions politiques dont ils court-circuitent l’action démocratique, on peut légitimement se poser la question. Des responsables politiques inactifs sur cette question ignorent, en plus de leurs engagements nationaux et internationaux, la nécessité écologique et de justice sociale posée par l’enjeu climatique (quand ils ne prennent pas tout bonnement des décisions allant à l’encontre des objectifs climatiques9). Ce sont pourtant eux qui condamnent le « sabotage » de l’art, du sport et du bon fonctionnement économique et productif de la société par des activistes.
Sur qui donc pèse la responsabilité du sabotage d’un futur viable tant pour les humains que les non-humains ? Qui sont les acteurs qui empêchent d’entreprendre une réelle rupture systémique, pourtant nécessaire si l’on veut limiter les dégâts de l’écocide actuellement en cours et dont nous sommes, collectivement, responsables ?