Archives de l'Aide-mémoire>Aide-mémoire n°74

Robert S. Wistrich : Hitler, l’Europe et la Shoah

Par Jean-Louis Rouhart

Dans cet essai, le professeur anglais Robert S. Wistrich expose avec méthode et clarté les nombreuses causes de l’antisémitisme et développe la thèse selon laquelle la Shoah serait imputable à l’Europe entière et non à la seule Allemagne. Il montre également que « la Shoah est issue d’une idéologie d’anéantissement à caractère millénariste et apocalyptique […] ayant balayé les postulats des Lumières, toutes les idées pratiques de la modernité libérale » (p. 310). Le génocide des Juifs serait le produit de « l’assaut du totalitarisme nihiliste contre l’éthique chrétienne, tout autant que la négation du monothéisme que le judaïsme avait légué à l’Occident » (p. 311).

Dans son exposé, l’auteur retrace l’histoire de l’antisémitisme qui trouverait ses racines dans le christianisme, comme l’attestent l’expulsion massive des Juifs d’Espagne durant la Reconquista au 15ème siècle et les écrits haineux de Martin Luther à l’encontre de ses concitoyens juifs. Il analyse l’apport respectif de différents facteurs qui ont créé et entretenu l’antisémitisme en Europe, notamment la Première Guerre mondiale (défaite de l’Allemagne dont Hitler a rendu les Juifs responsables), la peur du bolchevisme, la crise de 1929 et ses prolongements (poussée antisémite dans toute l’Europe).

L’auteur montre également comment se sont articulées plusieurs décisions à différents échelons pour aboutir à la « Solution finale » et dénonce la collaboration à laquelle on a assisté dans la plupart des pays durant l’occupation nazie (régime de Vichy, …). Il fustige en outre le rôle ambivalent de l’Église catholique durant la Seconde Guerre mondiale et l’attitude des Alliés qui, au cours de la guerre, n’ont pas fait du sauvetage des Juifs leur priorité (politique d’immigration très restrictive des États-Unis, refus de bombarder les camps de concentration, …).

Dans un dernier chapitre, il compare le génocide nazi aux autres génocides (anciens et actuels). Il oppose l’école des historiens « fonctionnalistes » (selon qui la Solution finale ne serait pas le produit d’un grand dessein mais l’aboutissement d’une série de mesures toujours plus radicales) aux historiens « intentionnistes » (pour qui le personnage d’Hitler et sa décision délibérée de tuer tous les Juifs d’Europe ont joué un rôle déterminant). Il indique en outre en quoi réside la modernité de la Shoah, caractérisée selon l’auteur par la mise à disposition de l’ensemble des ressources bureaucratiques et militaro-industrielles d’un pays, en l’occurrence l’Allemagne, aux fins de l’extermination scientifiquement planifiée et systématique d’une catégorie d’êtres humains, à savoir les personnes de confession juive.

Robert S. Wistrich, Hitler, l’Europe et la Shoah, traduit de l’anglais, Paris, Albin Michel 2005