Archives de l'Aide-mémoire>Aide-mémoire n°74

Editorial
La démocratie en tant que préservation du choix

Par Julien Paulus, rédacteur en chef

« Il ne peut y avoir de choix démocratiques contre les traités européens déjà ratifiés. » Cette phrase, qui fit grand bruit, fut prononcée par Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, qui, dans un entretien accordé au Figaro le 29 janvier 2015, réagissait aux résultats des élections grecques qui portèrent le parti Syriza au pouvoir. Le message se voulait clair (et il le fut) : le résultat de ce scrutin ne modifiera en rien l’approche adoptée dans la gestion de la crise grecque et, plus largement, n’aura aucun impact sur le modèle de gouvernance de l’Union européenne.

Photo : Panagiotis Grigoriou

Photo : Panagiotis Grigoriou

L’évolution de la situation en Grèce indique que M. Juncker ne parlait pas en l’air, avec la capitulation en rase campagne du gouvernement Tsipras et ce, circonstance aggravante, au lendemain d’un référendum par lequel le peuple grec exprimait clairement et massivement son refus des mémorandums qui lui étaient imposés. Les choix démocratiques encore possibles et les discussions qui les amènent semblent donc bel et bien exclus du champ d’application des traités européens.

Bien évidemment, la déclaration de Jean-Claude Juncker fait inévitablement penser au célèbre « There is no alternative » de Margaret Thatcher. À ceci près cependant que, là où l’ancienne Premier ministre britannique semblait énoncer ce qui constituait pour elle une évidence et qui pouvait, à la rigueur, encore être contesté, les mots de l’actuel président de la Commission européenne résonnent quant à eux davantage comme un avertissement stipulant qu’aucune tentative d’alternative ne sera envisagée voire tolérée, la déroute grecque étant rétrospectivement explicite à cet égard.

En juillet dernier et dans le style radical qui est le sien, l’économiste Frédéric Lordon évoquait en parlant de l’Europe un « despotisme économique irréductible ». Il écrit : « soustraire la politique économique à la délibération parlementaire ordinaire pour en inscrire les orientations fondamentales dans un texte constitutionnel, en l’occurrence celui des traités, est un acte d’une telle portée qu’on s’est toujours demandé comment il pouvait se trouver des personnes pour qualifier l’Europe de “démocratique” sans aussitôt sombrer dans le ridicule[1]. » Et Lordon de dénoncer la conséquence logique de cette soumission du politique aux traités qui est d’ « abandonner aux extrêmes droites (qui au demeurant n’en feront rien…) toute perspective politique d’en finir avec l’euro et ses institutions[2] ».

Et, en effet, en cette interminable période de crise sociale traitée sans faiblir à grands coups d’austérité et d’autoritarisme économique, le danger est grand de voir la semonce de Jean-Claude Juncker se muer en prophétie auto-réalisatrice qui verrait, un peu partout en Europe, les choix posés contre les traités ratifiés revêtir l’apparence d’un antidémocratisme assumé.

  1. Frédéric Lordon, « La gauche et l’euro : liquider, reconstruire » : http://blog.mondediplo.net/2015-07-18-La-gauche-et-l-euro-liquider-reconstruire#nh1
  2. Idem