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La mémoire espagnole et la correspondance dans les camps : deux rencontres à la Bibliothèque George Orwell

La rédaction

Ce deuxième trimestre de l’année fut l’occasion de présenter les deux derniers livres parus à ce jour aux éditions des Territoires de la Mémoire en organisant des rencontres avec les auteurs respectifs de Mémoire à ciel ouvert : une histoire de l’Espagne 1931-1981 **](/se-documenter/bibliotheque/la-mediatheque-presente/les-editions/collection-voix-de-la-memoire/1101-memoire-a-ciel-ouvert-une-histoire-de-l-espagne-1931-1981)(« Voix de la Mémoire », septembre 2014) et [Lettres de l’ombre : correspondance illégale dans les camps de concentration nazis** (« Voix de la Mémoire, avril 2015).

Le 23 avril, Ángeles Muñoz et Maite Molina Mármol présentèrent leur ouvrage, en compagnie de l’historienne Anne Morelli qui en avait assuré la préface. D’emblée, la discussion s’engagea en rappelant le rapport bancal de la société espagnole à son passé, affectée par la mémoire officielle des vainqueurs de la guerre civile de 1936-1939. « L’histoire ce sont les mensonges des vainqueurs », écrivait Anne Morelli dans sa préface, et les auteurs d’évoquer le sort réservé à l’emblématique juge Garzón et à sa récente tentative d’enquêter sur les massacres perpétrés par les phalanges franquistes. Le livre rappelle avec force que le coup d’État de 1936 par les troupes nationalistes fut avant tout une réaction antirépublicaine et antisociale : les cibles à abattre étaient la toute jeune République et la tentative de refondation sociale de la société espagnole menée par le Front populaire. Les aspects belges des évènements furent évoqués par Maite Molina Mármol, notamment les « Niños de la guerra », ces enfants de républicains accueillis par des familles belges afin de les soustraire aux combats et dont bon nombre restèrent dans notre pays. Anne Morelli, quant à elle, rappela les liens diplomatiques hispano-belges que Franco sut habilement tisser à travers le mariage de Fabiola et du roi Baudouin. Enfin, c’est à la description des conditions réelles de la dictature franquiste que s’attacha la fin de la rencontre, son étau sévère, son incroyable violence et ce, dans un pays d’Europe occidentale et durant les trente années qui suivirent la fin de la Seconde Guerre mondiale et la chute des régimes nazi allemand et fasciste italien.

Maite Molina Mármol, Ángeles Muñoz et Anne Morelli

Maite Molina Mármol, Ángeles Muñoz et Anne Morelli

Les membres d’une délégation venue de Valladolid rappelèrent à quel point le passé est toujours cadenassé dans leur pays, malgré les avancées apportées par la loi de 2007, dite « de la mémoire historique ». Prenant toutefois le problème à revers, Mme Asunción Esteban, membre de la délégation, plaidait pour l’adoption en Espagne d’un véritable programme social et l’émergence d’une véritable démocratie participative, préludes indispensables à une véritable et juste politique mémorielle.

Jean-Louis Rouhart

Jean-Louis Rouhart

La seconde rencontre, le 3 juin, fut l’occasion de découvrir le remarquable travail mené par Jean-Louis Rouhart dans son analyse de plusieurs centaines de lettres illégales émanant des détenus de camps de concentration nazis. Furent ainsi expliqués au public les conditions de production, d’expédition et de réception de ces missives clandestines, leur caractère « illégal » en regard au courrier « légal » et stéréotypé autorisé dans les règlements des camps, les contenus qu’elles portaient (descriptions, prières, informations, résistance), ainsi que leurs différentes formes : lettres écrites à l’encre sympathique, codées, cryptées, illustrées, jetées des trains ou encore enfouies dans le sol… Au-delà de l’explication théorique, la lecture à voix haute de plusieurs de ces lettres par la comédienne Angélique Demoitié permit à chacun de se rendre compte de la charge émotionnelle immense que ces messages comportent, ainsi que de leur caractère immédiat, urgent, en prise directe avec la réalité qu’ils décrivent. Une expérience qui donne tout son sens aux mots du professeur Peter Kuon dans sa préface (p.12) : « Cette lecture attentive d’un ensemble de textes peu connus ouvre une voie à l’expérience vécue, aux préoccupations et aux sentiments que ressentaient les prisonniers de l’univers concentrationnaire, à leurs besoins, leurs chagrins, leurs angoisses, leurs nostalgies et leurs espoirs, leurs professions de foi, leurs actes de résistance, leur dernières paroles avant de mourir. »

Angélique Demoitié

Angélique Demoitié