Archives de l'Aide-mémoire>Aide-mémoire n°72

Shoah à vendre ?

Par Jean-Paul Bonjean

Ouh lalalala ! Voici un roman qui déteint sur le genre habituel des lectures proposées dans cette chronique. Le livre est une satire en diable du commerce (lisez « du business ») qu’a pu générer l’exercice mémoriel lié à la Shoah. Heureusement, l’auteure, Tova Reich, est juive et ne pourra que difficilement être taxée d’antisémitisme. Mais le propos est virulent.

Tova Reich, Mon Holocauste, 2007. Pour la traduction : Le Cherche midi, 2014

Le père et le fils Messer vivent par et pour le génocide juif, notamment grâce au Musée de l’Holocauste de Washington. Avec un cynisme aguerri à la meilleure école de la rentabilité, ils font flèche de tout bois : création d’un label « Holocauste compatible », levée de fonds publics mal utilisés, voyages d’affaires aux agréments excessifs, mensonges servant leurs visées arrivistes, tout y est. Il y a toutefois un grain de sable dans la machine : Nechama, la fille de Norman Messer, s’est convertie au catholicisme et est entrée au carmel d’Auschwitz. S’ensuit une accumulation de petits scandales dont la saveur peut parfois paraître un peu lourde.

Toutefois, la satire fait mouche et suscite une série de questionnements. Au-delà du scandale et au risque de titiller un révisionnisme dormant, c’est une artiste (fille de rabbin, au demeurant) qui s’exprime avec une pleine autonomie esthétique. Tova Reich assume complètement le paradoxe d’un questionnement irrévérencieux sur le statut de l’Holocauste (« Tous les Holocaustes sont égaux ») à la lumière d’un monde marchand qui se congratule tous les jours d’être aussi puissant. La « customisation » a des allures d’Holocauste light !

La caricature est efficace, aurait pu être un peu plus efficiente. Une certaine surabondance de moyens nuit parfois au rire géant. Mais on pardonnera quand même à l’auteure d’avoir été mariée au directeur du Musée de l’Holocauste de Washington !

Note de la rédaction

Pour prolonger le propos de Jean-Paul Bonjean ci-dessus, et pour la critique efficiente qu’il regrette ne pas avoir toujours trouvé dans le roman de Reich, nous renvoyons le lecteur à l’ouvrage sans concession de l’historien Norman Finkelstein, L’industrie de l’Holocauste, qui retrace l’édification historique de ce qui est qualifié ci-dessus de « business de la Shoah » et que l’auteur nomme « industrie ». Lui-même fils de rescapés, Finkelstein écrit en introduction (p. 7) : « Ce livre est à la fois une étude anatomique et une mise en accusation de l’industrie de l’Holocauste. Mon propos est de démontrer que “l’Holocauste” est une représentation idéologique de l’holocauste nazi. Comme la plupart des idéologies, elle revêt un certain lien, même s’il est ténu, avec la réalité. L’Holocauste n’est pas une construction arbitraire, elle a sa cohérence interne. Ses dogmes centraux sont au service d’importants intérêts politiques et sociaux. »

Norman G. Finkelstein, L’industrie de l’Holocauste : réflexions sur l’exploitation de la souffrance des Juifs, Paris, La Fabrique, 2001