Archives de l'Aide-mémoire>Aide-mémoire n°72

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Alternative

Par Henri Deleersnijder

« There is no alternative ! » Couramment attribué à Margaret Thatcher, ce slogan résume à lui seul la déferlante néolibérale qui, partie des États-Unis et de la Grande-Bretagne au début des années 1980, a gagné petit à petit l’ensemble des pays occidentaux ainsi que les principales institutions supranationales : Banque mondiale, Fonds monétaire international, Commission européenne. Au point que, tout autre choix économique étant par principe exclu, la moindre remise en cause de cette doxa chère aux néoconservateurs se trouvait ipso factoclouée au pilori.

Depuis, la volonté de réduire les dépenses publiques a entamé les acquis sociaux de l’État-providence, accélérant comme jamais le processus des privatisations. C’était, est-il besoin de le rappeler, la victoire des économistes Friedrich Hayek et Milton Friedman face à un John Maynard Keynes dont la doctrine, favorable à la régulation des marchés, devait soi-disant être jetée aux oubliettes de l’Histoire. Place à la « main invisible» donc, métaphore du libre-échange tous azimuts ou potion magique appelée à résoudre tous les problèmes sociétaux.

La mise en place de cette libéralisation sans garde-fous, aggravée par les politiques d’austérité imposées depuis la crise bancaire de 2008, n’a pas manqué de frapper durement les populations européennes. Or la faculté d’adaptation du capitalisme – ce Protée aux appétits illimités – fait peu de cas des êtres humains, les laissés-pour-compte en priorité, acculés qu’ils sont le plus souvent à de douloureuses situations de survie. Et pourtant, selon l’économiste Bruno Colmant, « une connaissance sommaire de la science économique apprend que l’austérité et la contraction monétaire aggravent les crises […]. C’est d’ailleurs la leçon suprême de la crise des années 30 qui aurait être pu évitée par un assouplissement économique plutôt que par des politiques de rigueur[1] ».Comme quoi, au vu de la paupérisation de nos sociétés, une minorité de richissimes accaparant les plus grosses fortunes de la planète, on pourrait légitimement se demander si certaines médecines ne sont en définitive pas pires que le mal qu’elles sont censées combattre…

L’austérité, seul remède à la crise des finances publiques ? On en est toujours là dans l’Union européenne, en dépit de plusieurs voix qui crient casse-cou, telles celle émanant du Mouvement des économistes atterrés et celle de Bernard Maris qui s’est malheureusement tue à la suite de l’attaque meurtrière de Charlie Hebdo le 7 janvier dernier. Elles confirment en tout cas que l’économie est loin d’être une science exacte et que, à tout prendre, elle pourrait bien se trouver prisonnière d’une nasse de présupposés idéologiques. Lesquels justifieraient après-coup des situations acquises et empêcheraient dès lors l’émergence de projets de société plus équitables. Rares jusqu’à présent sont les gouvernements qui osent, comme jadis dans l’Amérique du New Deal, proposer des politiques alternatives : relancer l’investissement public, par exemple. Peut-être conviendrait-il que, le nez dans le guidon de la gestion quotidienne, leurs membres osent relever la tête et sortir un tant soit peu d’un programme qui les empêche d’entrevoir d’autres horizons possibles.

  1. Le 15e jour du mois, n° 241, février 2015.