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La Chine nationaliste n’est pas que celle de Tchang Kaï-Chek*

Une chronique de Julien Dohet

Après avoir abordé la question de la littérature enfantine2, c’est à un nouveau domaine un peu particulier que nous consacrons cette chronique afin d’être en lien avec la thématique globale de ce numéro et l’exposition L’art dégénéré selon Hitler proposée à la Cité Miroir de Liège, puisque nous allons parler de la brocante, de la chine : « Cette chine nationaliste, c’est-à-dire tout à fait politiquement incorrecte, c’est l’incursion dans le royaume de l’objet ancien, et spécialement du papier sous toutes ses formes, à thèmes politiquement incorrects, droitistes, patriotiques, coloniaux, voire simplement nostalgiques d’un ordre ancien (celui que nous baptisons d’ailleurs curieusement “ordre nouveau”)3. »

Un auteur au parcours engagé

AM71 p.11 dohetFrancis Bergeron est un auteur clairement marqué à l’extrême droite et qui s’en revendique. Né en 1952, ce militant « solidariste »4 se définit lui-même comme « un pétinolâtre. (…) Attention : ne confondez pas avec les pétainistes. Ceux-là se contentent de défendre la mémoire du vainqueur de Verdun. Le pétinolâtre, lui, se passionne en plus pour tout ce qui touche au Maréchal5 » et raconte comment il a financé son voyage au Liban6 : « (…) j’avais vendu, cinq ans auparavant, ma propre collection de vieux Jules Verne cartonnés, pour financer mon voyage au Liban chrétien avec Jacques Arnould, Philippe de Vergnette, et quelques autres jeunes croisés, tous bien décidés à apporter à nos frères libanais le soutien actif – et armé – des chrétiens de France »7. Chroniqueur dans Rivarol et dans Présent, c’est dans ce dernier qu’il a publié une première version des textes qui sont compilés dans une version retravaillé dans ce Dictionnaire du chineur politiquement incorrect : « ce guide du collectionneur droitisé à l’extrême, je le dédie moins à mes pairs en passion chineuse qu’au militant. À celui qui colle les affiches et les autocollants, qui vend les journaux à la criée, qui distribue les tracts, qui porte l’insigne à la boutonnière8 ». Publié chez Dualpha, soit la maison d’édition de Philippe Randa (celui-là même qui avait ouvert une libraire d’extrême droite en Hors-Château, à Liège, et que la vigilance et la mobilisation antifasciste avait permis de faire fermer rapidement), ce recueil est la somme de plus de trente ans de militance : « Trente-cinq ans à accumuler (…) autour d’un thème principal, presque unique : le nationalisme français (ou étranger : suivez mon regard… non pas là ! Ni là ! (d’ailleurs c’est interdit !) mais du côté du Liban Chrétien, de la Sainte Russie, de l’Argentine de Peron, du Portugal de Salazar9, de la Belgique de Léon10 ou de l’Espagne du Caudillo11. »

Un livre aux références connues…

On le voit avec cet extrait de l’introduction, les références de l’auteur sont limpides. Au-delà d’un livre reprenant les adresses où trouver les objets, les prix de ceux-ci… il s’agit donc aussi d’un livre profondément politique qui brasse toutes les références classiques de l’extrême droite. Une sorte de compilation des auteurs et ouvrages déjà abordés dans cette chronique : « Mais pas seulement Drieu12 et Céline13. Brasillach, Rebatet, Cousteau, Béraud, Fontenoy, Bardèche14, voient leur cote monter régulièrement. Il semblerait que les menaces de la “police juive de la pensée” (…) poussent de nouvelles générations à la passion collectionneuse15. » On notera au passage la petite piqûre de rappel antisémite16. Saint-Loup17 est évidemment mis à l’honneur lui qui dirigea une collection au Fleuve noir, tout comme le livre Tintin mon copain18 lorsqu’il s’agit de parler de BD19. Si Brasillach se voit accorder beaucoup de place, notamment par rapport à son livre sur l’Alcazar, on reprend aussi des auteurs centraux pour la pensée d’extrême droite, même s’ils sont moins connus aujourd’hui, comme Barrès : « Même à droite, on préfère Céline le maudit, Drieu l’esthète, Brasillach le martyr, Maurras20 le doctrinaire, Bainville le visionnaire ou Daudet le truculent. Barrès a trop bien réussi sa double carrière politique et littéraire pour susciter des passions comparables à celles dont bénéficient les auteurs susnommés21. » L’occasion aussi pour l’auteur de parfois tenter de nuancer les positions de certains : « On peut penser ce que l’on veut de l’attitude de La Rocque et des Croix de Feu, en particulier lors du 6 février 1934 (…) mais ce qui est certain (…) c’est que les Croix de Feu, chefs et militants, n’étaient ni racistes, ni antisémites, ni fascistes, ni même “d’extrême droite”. C’était un mouvement patriote, de droite, dont l’encadrement était fourni pour l’essentiel par les anciens combattants. Et ce n’était “que cela”22. »

Bergeron ne s’intéresse pas qu’aux livres, il parle également des insignes comme la Francisque, ce qui nous vaut cette anecdote intéressante qui en rappelle une autre décrite par Goebbels dans Combat pour Berlin23 : « Lors de la dissolution des ligues, les Camelots du roi portaient à la boutonnière une pièce de dix sous (“dissous” !)24 » ou des timbres qui lui permettent de faire d’une pierre deux coups en terme de référence idéologique, l’une positive et l’autre négative : « Si la poste française n’a pas jugé nécessaire de consacrer le moindre timbre à l’effigie du roi martyr lors du bicentenaire de sa mort, les Maldives nous proposent un Louis XVI en costume d’apparat (…) La France, elle, à la date du bicentenaire du martyr du roi, a préféré publier un timbre maçonnique. Hasard…25 » Sans oublier le cinéma26 : « Évidemment le cinéma non conformiste traversa un passage à vide dans la France d’après-guerre, passage à vide qui n’est d’ailleurs pas terminé tant la prégnance marxiste, puis post-marxiste, et en tout état de cause cosmopolite, fut et reste forte dans ce secteur27. » Cette dernière remarque nous rappelle le discours analysé dans notre précédente chronique.

Des « classiques » sont évidemment abordés, comme l’âge de Caïn28, pour illustrer ce que nous nommons la Libération mais que l’extrême droite voit autrement : « Bientôt vont paraître les premiers témoignages sur la terreur communiste. Écrits par définition par des hommes en liberté, et donc non compromis dans la collaboration, ces récits, ces recueils de faits scandaleux, de répressions ignobles, frappant aveuglément hommes, femmes et enfants, anciens militants politiques et notables apolitiques, paraissent clandestinement ou sous pseudonymes, tout simplement par crainte d’une vengeance communiste29. »

… et moins connues

Toutes les références que nous venons de voir nous sont maintenant bien connues, comme celle à l’Algérie française30 ou au Sud-Vietnam. Mais d’autres sont moins habituelles, comme cette distinction entre Bonaparte et Napoléon : « Mais après Bonaparte, il y a Napoléon. Et Napoléon, c’est l’Empire, c’est l’Europe française, c’est la gloire des victoires, l’épopée fantastique, les uniformes les plus beaux que l’on ait jamais imaginés31. » Ou celle à l’éditeur corse Horace de Carbuccia, fondateur de l’hebdomadaire Gringoire et directeur des Éditions de France : « La spoliation de 1944, le vandalisme révolutionnaire, le communisme rampant, sont passé par là, pour faire taire un grand éditeur corse et français32. » Ou encore celle-ci très significative: « Président de l’Association des écrivains combattants, Chack est anticommuniste et aussi anglophobe, comme nombre d’officiers de la Royale, une anglophobie qui sera exacerbée par le massacre de Mers-El-Kébir. En 1941, il fonde à Paris le Comité d’action antibolchévique (…) jugé le 18 décembre 1944, il sera fusillé le 9 janvier 194533. »

« Dans la série des Oncle Paul, on trouve par exemple le récit du siège de l’Alcazar de Tolède, cet héroïque fait d’armes des patriotes espagnols, en juillet 1936. “Vive l’Espagne, vive le Christ-Roi !” crie le fils du général Moscardo, avant d’être assassiné par les miliciens socialo-communistes34. » Au-delà de l’anecdote sur la célèbre série de Spirou, cet extrait est illustratif de la volonté de Bergeron de profiter de son travail de référencement pour souligner les zones troubles d’une série de personnes, tel l’auteur de La Bête est morte : « D’autant qu’en creusant encore la question, on s’aperçoit que Calvo a laissé toute une œuvre militariste, patriotique, et certainement fasciste aux yeux des habituels censeurs de l’Etablissement35 » ou de l’auteur des Nestor Burma : « Léo Malet nous est d’autant plus sympathique que cet ancien anarcho-trotskiste n’a jamais pardonné aux communistes le coup du piolet ; et au moment de sa mort (en mars 1996), il avait atteint les rives d’un anarchisme de droite de bon aloi, à la Louis-Ferdinand Céline, et revendiquait haut et fort son lepenisme36. »

Mais ce sont surtout des écrivains et des peintres régionalistes que Bergeron sort de l’oubli : « Quelles étaient les idées de Louis Suire ? Assez éloignées de celles des “bobos” qui envahissent l’île de Ré en août. (…) il se plaçait résolument du côté des vendéens contre les colonnes infernales, du côté de la foi et de la fidélité, contre un certain “monde moderne”. Comme le peintre Fernand Maillaud, en Berry, Louis Suire a illustré le bonheur de vivre dans une France rurale préservée longtemps des miasmes de la corruption des villes37. » Toujours pour, au passage, diffuser le message de l’extrême droite sur les valeurs traditionnelles : « Tous ceux qui prônent l’enracinement et l’identité contre le cosmopolitisme, la patrie et les patries d’Europe face au mondialisme, devraient s’intéresser à des auteurs comme cet Hugues Lapaire (…)38. »

Mais dont le propos n’est guère surprenant

Outre des références plus ou moins connues et le fait de recueillir ainsi un corpus cohérent du monde d’extrême droite, le livre de Bergeron est aussi l’occasion pour l’auteur de faire passer son message au détour d’une digression comme ici sur l’insécurité : « Il n’y a plus guère d’enfants dans nos rues, plus de cris d’enfants dans les cours. C’est qu’à l’abstinence démographique vient s’ajouter l’insécurité : l’insécurité des voitures et l’insécurité des détraqués, et aussi des “jeunes” qui ne sont pas exactement les mêmes que ceux que dessinait Germaine Bouret39. » Ou de manière encore plus significative quant au discours sur la préférence nationale lorsqu’il parle des décorations de guerre : « Faites excuse, messieurs les naturalisés de fraîche date. Mais il me semble que ceux qui ont eu un grand-père trois fois blessés et deux fois gazés à Verdun, et deux ou trois oncles portés disparus aux éparges et sur la Marne, sont encore plus Français que d’autres »40.

Une fois de plus, à travers un ouvrage qui peut sembler anodin, nous avons pu démontrer que la pensée d’extrême droite est une pensée cohérente qui s’appuie sur un imaginaire et un référentiel loin d’être anodin, comme l’attestent les vingt-quatre références à des chroniques précédentes, et qu’il s’agit de connaître pour pouvoir réagir à certains propos comme ceux tenus par un participant membre de Nation lors de la dernière Foire du livre politique de Liège.

* Notre titre est repris d’un passage de l’introduction du livre que nous analysons : Bergeron, Francis, Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect. 2e éd. Revue, corrigée et augmentée, Coulommiers, Dualpha, coll. « Politiquement incorrect », 2006, 286 p.

  1. « Le livre : une arme idéologique » in Aide-mémoire n°70 d’octobre-novembre-décembre 2014,
  2. p. 12
  3. Tendance incarnée par Jean-Pierre Stirbois qui rejoindra le FN en 1977 et qui a aujourd’hui pour leader Serge Ayoub, un habitué des rassemblements avec Nation.
  4. Pp. 207-208
  5. Voir « La Loi du décalogue » in Aide-mémoire n°64 d’avril-mai-juin 2013,
  6. P. 278
  7. P. 13
  8. Voir « Un nationalisme religieux : le Portugal de Salazar » in Aide-mémoire n°24 d’avril-mai-juin 2003 et « 1945 ne marque pas la fin des dictatures d’extrême droite en Europe » in Aide-mémoire n°69 de juillet-août-septembre 2014, mais aussi « La préparation de la reconquête idéologique » in Aide-mémoire n°42 d’octobre-novembre-décembre 2007,
  9. Voir « Léon Degrelle et le Rexisme » in Aide-mémoire n°23 de janvier-février-mars 2003,
  10. P. 11. À propos du Caudillo, voir « L’idéologie derrière la carte postale » in Aide-mémoire n°62 d’octobre-novembre-décembre 2012,
  11. Voir « Un vrai fasciste : ni de droite, ni de gauche mais… d’extrême droite » in Aide-mémoire n°31 de janvier-février-mars 2005,
  12. Voir « L’antisémitisme est-il une futilité ? » in Aide-mémoire n°26 d’octobre-novembre-décembre 2003
  13. Voir « Quand le relativisme sert à masquer le négationnisme » in Aide-mémoire n°34 d’octobre-novembre-décembre 2005 et « Le fascisme n’a pas confiance dans le peuple » in Aide-mémoire n°53 de juillet-août-septembre 2010
  14. P. 163
  15. Voir « Antisémitisme et anticommunisme. Les deux mamelles de l’extrême droite » in Aide-mémoire n°63 de janvier-février-mars 2013,
  16. Voir « Le Militaria, porte d’entrée de l’idéologie d’extrême droite » in Aide-mémoire n°46 d’octobre-novembre-décembre 2008
  17. « “Tintin-Degrelle” une idéologie au-delà de la polémique » in Aide-mémoire n°50 d’octobre-novembre-décembre 2009 et n°51 de janvier-février-mars 2010
  18. Voir « Quand la neutralité est riche d’idéologie » in Aide-mémoire n°54 d’octobre-novembre-décembre 2010
  19. Voir « De l’inégalité à la monarchie » in Aide-mémoire n°33 de juillet-août-septembre 2005
  20. P. 39
  21. P. 147 Voir « Travail - Famille - Patrie » in Aide-mémoire n°49 de juillet-août-septembre 2009
  22. Voir « Joseph Goebbels. Combat pour Berlin » in Aide-mémoire n°17 d’avril-mai-juin 2001
  23. P. 155
  24. P. 242
  25. Voir « Un cinéaste sous le nazisme : Veit Harlan » in Aide-mémoire n°19 d’octobre-novembre-décembre 2001
  26. P. 100
  27. Voir « Le “résistantialisme”, un équivalent au négationnisme » in Aide-mémoire n°44 d’avril-mai-juin 2008
  28. Pp. 168-169
  29. Voir « La pensée “contrerévolutionnaire” » in Aide-mémoire n°36 d’avril-mai-juin 2006 et « Quand la résistance et le droit d’insurrection sont-ils justifiés ? » in Aide-mémoire n°55 de janvier-février-mars 2011
  30. P. 58
  31. P. 129
  32. P. 91
  33. Pp. 34-35
  34. P. 75
  35. P. 216. Voir « Retour sur le discours du fondateur de la dynastie Le Pen » in Aide-mémoire n°56 d’avril-mai-juin 2011 et « La cohérence d’un engagement » in Aide-mémoire n°40 d’avril-mai-juin 2007
  36. P. 238
  37. P. 157
  38. P. 62
  39. P. 108