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Art et pouvoir : Théâtre-action et mouvements sociaux

Par Gaëlle Henrard

Dans le cadre de la thématique « art et pouvoir » qui anime actuellement les Territoires de la Mémoire, je propose ici une sorte de compte-rendu, augmenté et ré-organisé, de différents débats et ateliers auxquels j’ai eu l’occasion d’assister dans le courant d’octobre et novembre 2014. L’un a été organisé par la Maison des Sciences de l’Homme dans le cadre de la Foire du Livre politique de Liège sur le thème du théâtre dans la Cité. Animé par Rachel Brahy, chercheuse à la MSH, il a mis en présence Katty Masciarelli, directrice du Centre du Théâtre-Action, Nancy Delhalle, chercheuse à l’Université de Liège qui étudie notamment la place du théâtre en Belgique, Claire Vienne, directrice artistique du Théâtre de la Communauté de Seraing (voir entretien ci-contre), et Serge Rangoni, directeur du Théâtre de Liège. L’autre atelier, organisé par Peuple & Culture dans le cadre de son Université d’automne sur le thème de l’éducation populaire et des mouvements sociaux, a interrogé la capacité de l’art à mobiliser. Cette réflexion est donc à la fois personnelle et en même temps nourrie de celle d’autres travailleurs de terrain, du monde associatif notamment, et d’artistes, qu’ils en soient ici remerciés, en espérant par ailleurs ne pas trahir leurs mots et leur pensée. C’est dans une volonté de diffusion que leurs idées sont ici reprises.

Il est une forme d’art qui, dans sa démarche fondamentale et originelle, interroge incontestablement le rapport entre l’art et le politique et qui tend à ramener le centre de gravité du pouvoir là où on ne le cherche que trop peu : dans l’espace public, là où sont les gens, là où ils vivent et se rencontrent, là où peut émerger une parole vraie. Le théâtre-action vient en effet questionner la capacité de l’art à interroger nos consciences et à nous mettre en mouvement.

18 février 2009 : Daniel Adam, metteur en scène à la Compagnie Maritime franchit les portes de l’usine Royal Boch à La Louvière sur lesquelles on peut lire : « Usine occupée ». Proposition est faite de venir jouer dans l’usine un spectacle précédemment monté avec d’anciens fondeurs de la région de Couvin intitulé Tu vas encore nous faire pleurer, fondeurs issus de diverses usines de la région alors toutes fermées et transformées en centres commerciaux. Après arrangements avec les syndicats et aménagements dans l’usine, le spectacle est présenté en guise de soirée de solidarité avec les travailleurs de Royal Boch en sursis. 200 personnes assistent à la représentation dans l’usine : familles, militants, syndicalistes et autres curieux. L’analogie entre l’histoire vécue par les uns et celle en train de s’écrire des autres ne manque pas de soulever une vive émotion. Parallèlement, la photographe Véronique Vercheval tire le portrait des travailleurs, de face, à leur poste de travail, histoire de donner un visage à ces quarante-quatre « survivants » dont parle à peine la presse. Elle leur demande aussi de raconter leur première journée à l’usine. Imprimés sur d’immenses bâches, ces portraits sont affichés sur les grilles de l’usine, à la vue de tous, au milieu de la ville. Pendant trois mois, elles donnent à voir les visages de celles et ceux qui s’animent et animent encore une usine au cœur de La Louvière. Cette usine sera démolie peu de temps après… Une idée toutefois aura émergé au milieu de ce drame, celle de monter un spectacle à même de réfracter toute l’indignation et tout le désarroi de ces femmes et de ces hommes. Au travers d’ateliers auxquels participent les anciens travailleurs de Royal Boch, un spectacle s’écrit. Le 1er mars 2012 a lieu la première de « Royal Boch, la dernière défaïence » : rires, pleurs et surtout beaucoup d’indignation. « Voilà des gens qu’on a voulu morts et qui lancent debout des salves d’espoir. Dans le fond, le théâtre-action, c’est peut-être ça : c’est nous empêcher de nous asseoir1. »

Oui, l’usine a fermé et tous ces gens ont perdu leur travail. Et cette triste histoire s’est poursuivie au travers d’un combat contre un système aussi absurde que déshumanisant. Alors, ce spectacle, ces photographies, finalement à quoi ont-ils servi ? C’est peut-être le sens de cette réflexion sur la place et le rôle de l’art dans la cité, sur le pouvoir qu’on entend parfois lui donner, sur celui qu’on aimerait parfois qu’il recouvre. Mais d’abord, petit retour en arrière pour mieux comprendre ce qui se cache derrière cette formule de « théâtre-action » qui n’est autre, pour certains, que du théâtre tout court.

Bref historique2

Les années 1970 voient une concentration inédite de conflits sociaux qui prennent des formes nouvelles : séquestration de patrons d’usine, sabotage de machines et surtout occupations d’usines souvent couplées avec des pratiques autogestionnaires visant à prouver la viabilité de l’entreprise. Ces mouvements sociaux, souvent défensifs, mais qui prennent parfois également une dimension plus offensive (par exemple pour porter des revendications salariales), éveillent l’intérêt du monde culturel. Leur durée et le monde ouvrier lui-même suscitent une certaine fascination auprès des intellectuels engagés mais aussi des artistes qui décident d’aller à la rencontre de ces travailleurs directement sur leur lieu de travail. Cette démarche était déjà celle du Théâtre de la Communauté de Seraing créé en 1964. À l’origine, cette jeune compagnie est issue d’une petite troupe d’étudiants de l’Université de Liège s’étant séparé du Théâtre universitaire, jugeant sa production trop académique, l’habitude étant alors à des pièces du répertoire. Cette petite troupe baptisée « Les Escholiers de la Lune » puis très vite « La Communauté des Escholiers » défend une conception du théâtre en tant que service public et s’inspire du Théâtre national populaire de Jean Vilar en France. Celui-ci, né après la Seconde Guerre mondiale, s’inscrit dans le contexte d’une politique de démocratisation de la culture menée à l’époque par les pouvoirs publics dans le but de reconstruire une certaine cohésion sociale et prônant la culture pour tous.

Malgré un certain succès remporté par La Communauté des Escholiers, l’insatisfaction demeure : ce sont toujours les privilégiés qui se rendent au théâtre. Les ouvriers restent les grands absents de ces représentations censées les « émanciper ». L’abaissement du prix des places, le choix de textes engagés ne semblent pas concerner davantage ces « exclus de la culture ». La démocratisation théâtrale ne fonctionne pas. La troupe, menée par Roger Dehaybe, décide donc de se rendre là où vit et travaille cette classe ouvrière et s’installe à Seraing, dans la salle communale rue Renaud Strivay. Rebaptisée « Théâtre de la Communauté », la compagnie va développer ses propres spectacles mais également organiser des récitals, un ciné-club et des conférences.

En tissant un réseau avec les acteurs locaux, le Théâtre de la Communauté entend mettre en œuvre une réelle implication du local tant dans l’écriture des textes que dans le montage de ces créations originales. Les partenaires privilégiés du TC resteront pendant longtemps le milieu scolaire et le monde ouvrier. Des comités consultatifs se mettent en place pour recueillir les représentations et problèmes spécifiques de chacun et en faire un point de départ à une véritable création alternative.

Pourtant, si le nombre de spectateurs ne cesse de se multiplier, le monde ouvrier est toujours aux abonnés absents. La barrière d’un lieu institutionnel, même engagé, reste difficile à franchir par des gens à qui on a toujours fait comprendre que la culture, « ce n’était pas pour eux ». Nous nous trouvons finalement toujours là dans une démarche de démocratisation culturelle qui est perçue comme un vecteur de diffusion des valeurs bourgeoises et comme une emprise de plus de la société capitaliste. Opérant alors un changement de stratégie radical, le TC va déplacer son centre de gravité de la salle de spectacle aux lieux où se trouvent les spectateurs qu’il veut directement concerner. Arrière-salles de cafés, sorties d’usines, meetings deviennent autant de lieux et d’occasions de créer le dialogue et de jouer de petites saynètes. Cette idée, toute empreinte d’éducation populaire, d’aller chercher ce qu’on a eu coutume d’appeler à l’époque le « non-public », est de faire émerger la parole de ces gens et de leur permettre d’être les porteurs de leur propre culture. L’enjeu de ce travail réalisé avec et par eux est, outre l’émergence de la parole, de générer une forme d’expression qui leur est propre. Le théâtre devient prétexte et « outil au service d’un message à délivrer3 ». Le théâtre-tract ouvre la voie au travail de ces quelques comédiens-animateurs qui inverse le processus théâtral classique pour monter des créations plus « légères », nécessitant peu de moyens (costumes, décors) et donc plus faciles à transporter et à présenter, par exemple, lors des pauses des ouvriers aux abords des entreprises. D’une politique de démocratisation culturelle, on passe progressivement à une véritable démocratie culturelle.

« (…) le souci du Théâtre de la Communauté est celui d’être à l’écoute, beaucoup plus que de se faire écouter : être de façon vivante un appareil d’amplification pour donner une voix à ceux qui n’en ont pas, ou qui ont une voix trop faible dans le brouhaha des plus puissants moyens de fabrication de l’opinion publique4. »

La démarche de démocratie théâtrale est poussée plus loin dans les années 1970 avec la mise en place d’ateliers-théâtre à même de permettre à tout un chacun de s’approprier la technique théâtrale et ainsi de porter sa voix sans l’intermédiaire du comédien. La double casquette de comédien / animateur de théâtre-action permet donc tant le jeu de scène que la formation et l’animation des débats qui suivent et parfois même entrecoupent les spectacles. Ces débats font partie inhérente de la démarche du théâtre-action, les thématiques traitées étant choisies en fonction de l’actualité et des vécus concrets de chacun en vue d’une conscientisation et d’une réappropriation des moyens d’action. S’emparant d’une véritable arme de combat contre l’aliénation, les travailleurs comprennent, qu’outre un divertissement, le théâtre-action peut les aider dans leurs revendications. Doublement subversif, il renverse par ailleurs la balance tant des hiérarchies sociales en déplaçant l’autorisation du discours, que celles du monde du théâtre en brouillant les frontières entre les différents intervenants (auteur, metteur en scène, comédiens, spectateurs)5.

Au fil des années, les publics évolueront avec les contextes socio-économiques et la tertiarisation croissante du monde du travail. Le déplacement de la militance explique aussi cette évolution. De nouvelles causes mobilisent et interrogent la culture (droits de l’homme, environnement, etc.). De nouvelles valeurs animent et demandent une réflexion permanente. Le théâtre-action, toujours riche d’un travail en réseau, semble se tourner aujourd’hui vers le secteur socio-professionnel. En témoignent des créations avec des CPAS, EFT, AMO, prisons, organismes d’insertion socio-professionnelle, etc. Pourtant, l’actualité nous montre que le temps des occupations d’usines semble plus cyclique que linéaire. La fermeture de Royal Boch, c’était en 2009. Récemment, la bande dessinée a, elle aussi, investi le champ des luttes sociales : le blog Johnson m’a tuer et la bande dessinée du même nom réalisée par Louis Theillier rapportent le récit de l’occupation de l’usine Johnson Matthey de février à juin 2011. Réalisées à l’aide d’un bic parce que seul outil de travail disponible dans l’usine, les planches de la bande dessinée étaient initialement diffusées sous forme de journal de bord sur le blog. Toutes les trois semaines, elles étaient tirées à 350 exemplaires et distribuées aux travailleurs et aux médias pour faire pressions sur les négociations. La bande dessinée comme outil de médiatisation… En effet, les médias se sont d’abord intéressés à l’objet médiatique et du coup au conflit lui-même. Ce geste artistique s’inscrivait, lui aussi, dans une lutte contre la déshumanisation des travailleurs.

Les groupes Medvedkine6 ne firent pas autre chose en s’appropriant le langage des « riches », le cinéma, pour dénoncer le sort de la classe ouvrière dans les régions françaises de Besançon et de Sochaux entre les années 1967 et 1974. Cette rencontre entre le monde du cinéma et le monde ouvrier se cristallisera dans le film À bientôt j’espère. Les travailleurs, loin de se contenter de cette production, décident de s’emparer eux-mêmes de la caméra pour raconter leur histoire, de l’intérieur, et faire un film d’ouvriers et non un film sur les ouvriers. Ils apprennent à réaliser et produire leurs films et s’emparent de ce média comme véritable outil de lutte et d’émancipation. Parmi ceux qui n’étaient pas censés faire du cinéma, certains deviendront réalisateurs professionnels créant par là une forme d’art et une esthétique d’une force et d’une originalité particulières.

Autre domaine, les conférences gesticulées qu’on voit fleurir un peu partout illustrent bien l’idée qu’il n’y a pas plus légitime que le travailleur lui-même pour parler du travail, ou les mères pour parler de la maternité, etc.

Ce que peut l’art…

Si Rachel Brahy, relève la « permanence de l’idéal politique et militant du théâtre-action », d’aucuns pourtant ne semblent plus croire en sa fonction subversive, le percevant comme « une pratique théâtrale de gauche réformiste pas très révolutionnaire » ou comme une sorte de « sparadrap social »7 selon les termes qu’elle a relevé chez certains comédiens-animateurs. Où est donc cet idéal politique et militant ? A-t-il disparu alors que des comédiens-animateurs témoignent de leur manque de conviction dans ce « tout à l’insertion » qui demanderait de mobiliser le culturel pour faire des citoyens plus « responsables », plus « capables », mais dans le cadre d’un système qui fonctionne mal ? Une comédienne-animatrice explique par ailleurs que son travail n’a certainement pas pour objectif de rendre le participant plus docile « plus apte à faire un travail inintéressant dans lequel on perd sa vie à la gagner ». Alors, la question demeure : dans quelle mesure, le théâtre, en l’occurrence ici le théâtre-action, peut-il intervenir dans et sur le politique, dans notre manière de faire société et sur notre capacité à interagir avec notre environnement ?

Outre la faculté de ré-humanisation de travailleurs en déroute qui peuvent se parer d’un peu de dignité, parfois simplement exister, un premier élément se dégage dans la capacité de certaines créations artistiques à donner un visage et une voix à ceux qu’on ne voit, ni n’entend, tout simplement parce que ce n’est, la plupart du temps, pas eux que regardent et qu’écoutent les mondes médiatique et politique, si ce n’est le plus souvent pour les stigmatiser. Or, au travers du travail mené lors des ateliers-théâtre émerge une parole vraie, débridée. Si, comme l’explique Jacques Rancière, « la politique porte sur ce qu’on voit et ce qu’on peut en dire, sur qui a la compétence pour voir et la qualité pour dire8 », ne peut-on se réjouir de ces conflits rendus visibles et de ces paroles rendues audibles ? Par ailleurs, l’émancipation et la transformation sociales ne commencent-elle pas par la capacité de nommer les choses, avec les mots justes, et celle ensuite de se réapproprier l’expression de sa propre histoire ?

Ensuite, et c’est là une dimension majeure mise en avant par les comédiens-animateurs qui se meuvent dans ces projets, il s’agit de permettre de passer du « je » au « nous », de la maison à la place publique, bref de créer du commun. Rassembler les gens, faire qu’ils se retrouvent, construire du collectif, a fortiori là où il ne va pas de soi, n’est-ce pas là un acte éminemment politique ? Dans un système individualiste qui nous pousse à l’éclatement, à l’aliénation sous toutes ses formes et où chacun se retrouve finalement seul face à sa propre révolte, ne sachant bien souvent qu’en faire ni même la nommer, la création de lieux et de moments où chacun est écouté pour ce qu’il a à dire apparaît d’une urgente nécessité.

Par ailleurs, cette subjectivité donnée à la vue de tous, ce regard immergé dans les luttes sociales et non au-dessus de la masse présentent une force d’alternative non négligeable : il place les rapports de force dans un champ créatif où les corps et les émotions ont leur place. Cet aspect est généralement absent d’autres milieux que l’on pourrait qualifier de politiques où l’action est davantage guidée par le raisonnement critique (pour autant le milieu artistique n’en est pas dénué, bien au contraire). Rachel Brahy fait référence à Jacques Rancière pour rappeler qu’une des particularités du théâtre-action est de constituer un cadre politique qui prend en compte le sensible.

Enfin, on parle sans cesse de ce beau mot qu’est l’émancipation et on se plaît à penser que celle-ci peut passer par l’art. Si l’essence de l’émancipation réside dans le fait de quitter la place qui nous a été assignée et d’agir d’une manière autre que celle selon laquelle il est convenu ou convenable de se comporter, alors peut-être nous est-il effectivement permis de voir dans le théâtre-action un vecteur d’émancipation sur au moins un de ses aspects. En effet, par sa démarche même, le théâtre-action brise les catégories qui régissent nos vies et nos manières de penser. Nous aurions chacun une place dont on ne pourrait sortir : pas le temps, pas compétent, pas autorisé, pas légitime. Il y aurait une place pour le travailleur manuel, une pour l’intellectuel ; une place pour l’artiste, le créateur, une autre pour le spectateur, regardant et écoutant mais surtout n’agissant pas ; une place pour ceux qui produisent des richesses, une autre pour ceux qui les consomment ; une place pour ceux qui ont une parole politique, une autre pour ceux qui doivent s’y conformer. Et que surtout chacun reste à sa place, que surtout on ne se mélange pas trop ! Le théâtre-action apparaît finalement comme un bon exemple de cette hybridation entre les catégories autorisées au travers de la réappropriation d’une parole et d’une expression par celui qui les vit. N’en déplaise à Platon selon qui les artisans n’avaient pas le temps de se consacrer aux choses communes parce que le travail n’attend pas9.

Que ce partenariat riche et prometteur entre le monde artistique et les mouvements sociaux ne nous empêche toutefois pas de nous rappeler que le statut de l’artiste reste un statut précaire. Certes de nombreux théâtres-action, après un long combat pour la reconnaissance de l’originalité de leur démarche, sont aujourd’hui subsidiés. Mais les artistes, loin d’être reconnus comme des « travailleurs de l’art », sont souvent perçus, en ce compris par le monde associatif lui-même, comme des pourvoyeurs de regards, d’imaginaires, parfois de rêves (ce qu’ils sont également), à bon compte, afin de rendre le combat plus attractif et original, afin de trouver dans les voies de l’art et dans ses outils une méthode imaginative voire esthétique de militance. Parfois, l’intervention artistique trouve des subsides. Souvent, les artistes s’engagent dans des luttes sociales sur base volontaire et militante. Certains produisent donc un travail, une richesse bénévolement. S’ils sont souvent perçus comme libres dans leur capacité de critiquer et de contester (ce que les institutions culturelles et associatives ne sont parfois plus), cette liberté s’arrête avec la précarité dont ils sont souvent l’otage. Il semblerait que cette réalité soit parfois bonne à rappeler, y compris au monde associatif, qui, inquiet dans la gestion de ses subsides, perdrait parfois de vue que l’artiste, même militant, ne vit pas d’art et d’eau fraîche. Interroger l’art et le pouvoir, devrait donc également passer par (re)penser les rapports de force, voire de domination, dans lesquels sont pris les artistes quand ils ne sont pas tout simplement perçus comme des hurluberlus oisifs et inutiles.

Je me suis surprise, à maintes reprises, dans cette saine révolte face à l’absurdité, à chercher des « résultats », des changements concrets portés par l’art, encore et encore, à me demander « mais bon sang que peut l’art ? »… Et bien, il semblerait qu’en tant que « plus court chemin de l’homme à l’homme », selon les termes d’André Malraux10, il puisse déjà beaucoup.

  1. Propos de Daniel Adam lors d’un débat organisé à Point Culture Bruxelles le 11 février 2014 sur le thème « Le théâtre-action en Belgique, engagement social et/ou critique politique ? », consultable en ligne sur Youtube (https://www.youtube.com/watch?v=MKmS4JfWacc).
  2. Cet historique est tiré d’une analyse de Ludo BETTENS, Quand la culture s’invite dans des conflits sociaux : une innovation des années 1970. Et aujourd’hui ?, Analyse n°73 de l’IHOESS, 30 décembre 2010.
  3. BETTENS, Ludo, « Aperçu d’un demi-siècle de création théâtrale comme outil de démocratisation culturelle », in Le Théâtre de la Communauté. Oser être libre, Cuesmes, éditions du Cerisier, 2014, p. 21.
  4. Le Théâtre de la Communauté présente « L’éternel masculin », Liège, éd. Biblio, 1975, cité dans BETTENS, Ludo, « Aperçu d’un demi-siècle de création théâtrale », op. cit., p. 28.
  5. DELHALLE, Nancy, « Théâtre : croisements entêtés avec le politique », in DELHALLE, Nancy et DUBOIS, Jacques (dir.), Le tournant des années 1970. Liège en effervescence, Bruxelles, Les Impressions Nouvelles, 2010, p. 148.
  6. Du nom du réalisateur soviétique Alexandre Medvedkine, inventeur du ciné-train avec lequel il parcourut la Russie en 1932, filmant les classes laborieuses le jour, montant de courts métrages dans son train la nuit pour les projeter dès le lendemain aux mêmes personnes filmées la veille. Il mit le cinéma « entre les mains du peuple ».
  7. Intervention de Rachel Brahy lors d’un débat organisé à Point Culture Bruxelles le 11 février 2014 sur le thème « Le théâtre-action en Belgique, engagement social et/ou critique politique ? », consultable en ligne sur Youtube (https://www.youtube.com/watch?v=DQgd-n8LHFQ).
  8. RANCIÈRE, Jacques, Le partage du sensible, Paris, La Fabrique, 2000, p. 14.
  9. Cité dans Idem, p. 13.
  10. La création artistique.