Porter la voix une expérimentation… qui en vaut la peine !

Par Clara Derhet déléguée au service pédagogique des Territoires de la Mémoire

« Une parole non traitée, c’est du bruit. » Voici un numéro ­d’Aide-mémoire qui aura essayé de ne pas laisser les cris du peuple s’éteindre en leur apportant une réponse, un écho et quelques éclairages. Un numéro entièrement construit sur ce que des citoyens et citoyennes nous ont confié, parfois dans une attente, une inquiétude, un besoin urgent, ou une colère, sur le monde comme il va et dans lequel on s’échine encore à chercher l’humain. Bonne nouvelle : il existe toujours et nous l’avons rencontré.

PORTE-VOIX : c’est quoi ?

Un porte-voix, c’est un cornet pour amplifier les voix. À l’instar de cet objet, ce dispositif a été pensé pour diffuser les revendications citoyennes le plus loin possible, afin d’interpeller la société civile et les (futurs) mandataires politiques autour de certains enjeux de société. Il est d’autant plus légitime qu’il s’inscrit dans cette année pluri-électorale, fenêtre d’opportunité pour être vu et entendu et pour s’allier avec d’autres partenaires. Il a été pensé au service des voix moins audibles dans la société (les femmes, les jeunes adultes, les personnes en situation de fragilité économique, administrative, mentale…). Il est un outil d’éducation à la résistance et à la citoyenneté, qui permet de cultiver le lien entre les citoyen.ne.s et le politique et, en quelque sorte, de mettre de l’huile dans les rouages du jeu démocratique.

Ce dispositif s’articule en 3 étapes : tout d’abord, récolter les exigences de changement des citoyen.ne.s ; ensuite analyser « cette récolte » et l’amender d’autres regards ; enfin, et l’objectif est bien là, mener une interpellation politique protéiforme.

Une récolte au plus proche des gens

Pour cette récolte d’exigences, nous voulions nous placer au plus près des citoyen.ne.s. La méthodologie narrative « récit de vie » était le fil conducteur, à travers le : « Je m’appelle… Je suis… J’EXIGE… ». Avec le prénom et l’autoportrait (large/complexe et parfois paradoxal), les citoyen.ne.s se sont raconté.e.s, ont partagé des morceaux d’eux et elles, de leurs préoccupations, de leurs difficultés… avec du sensible. Ensuite, à travers le « J’EXIGE », les personnes, en tant qu’« expertes du vécu » se sont exprimées sur ce qui était urgent et important. Ce mot « J’EXIGE » est puissant, radical, revendicatif et donne une notion d’urgence ! La démarche était donc de se raconter, pour en arriver (quasi) naturellement à (re)trouver la capacité d’EXIGER… vis-à-vis du politique ! Avec ce cap bien déterminé : de l’intime au politique!

Cette récolte s’est déclinée au travers de trois types d’interventions différentes. Tout d’abord, des animations en groupe, sur un temps plus long, avec une attention particulière au vecteur artistique (cinéma, écriture, slam, collage, typographie, dessin, mise en voix…) afin de se (re)connecter émotionnellement aux autres et aux enjeux de société. Ensuite, une « intervention minute » était proposée sur différents festivals, à partir d’une carte postale à compléter, avec un.e interlocuteur.rice. Et pour finir, via un site Internet, les gens pouvaient s’exprimer de chez eux.

… derrière chacune de ces voix, il y a une personne qui nous a fait confiance pour porter sa parole

Nous avons pu remarquer que les gens s’étaient exprimés généreusement, librement et avec plaisir ! Ces moments d’échange ont fait du bien, tant par rapport à la légitimé de nos pensées et exigences, qu’à la confiance en nos capacités d’expression et d’appartenance au monde. La relation aux autres et au politique, s’est un peu épaissie, complexifiée. Déjà rien que pour cela, ce dispositif valait la peine d’être vécu !

Éclairer d’autres regards et mettre en perspective

Plus de 1 300 voix ont été récoltées, autrement dit plus de 1 300 morceaux d’histoires de vie et d’exigences. C’est énorme!!! Ces données ont été assemblées et traitées pour en dégager des constats, des tendances et former un tout. Il est évident qu’il s’agit ici d’une prise de température située, avec tous ses biais, et non d’une enquête statistique représentative. Le prisme d’analyse était le suivant : qu’est-ce que tout cela nous raconte sur le monde, le politique ? et quelles sont les exigences de changement ?

Tout d’abord, force est de (re)constater que l’intérêt pour la chose politique est bien vivace. Les gens se sont exprimés vivement sur nombre d’enjeux de société (et souvent sans s’en rendre compte). Parallèlement à cela, ils nous ont également (re)partagé leur désillusion du système démocratique en l’état. De toutes ces exigences, quatre grands enjeux de société se sont nettement dégagés : l’inégale répartition des richesses et la précarité ; la crise environnementale ; l’éducation et la jeunesse ; les discriminations. Ces catégories sont évidemment interconnectées et doivent être appréhendées comme un tout complexe et à géométrie variable. Pour amplifier les exigences individuelles au niveau collectif, nous avons intitulé chaque thématique au départ de NOUS EXIGEONS…

« Qu’est-ce qui te semble urgent et important de changer dans la société aujourd’hui ? »
J’EXIGE !!!

Une fois cette analyse réalisée, nous l’avons enrichie d’autres regards :  académique, militant, artistique. L’idée était d’ouvrir à d’autres perspectives et pistes de compréhension avec notamment des propositions politiques concrètes. Ce travail de « croisée des regards » a été déplié largement dans ce numéro d’Aide-mémoire « Porter la voix ».

Interpeller et fructifier : une force de frappe

Maintenant : place à l’interpellation ! C’est l’étape du dispositif où, véritablement, on « porte les voix ». Pour faire bouger les lignes, déjà faut-il être vus et entendus. Cette étape se décline avec différents mediums et en ricochet avec : une exposition à la Cité Miroir, des animations, des rencontres politiques, des conférences, un site web et un moteur de recherche, des mises en voix, un atelier artistique, un « happening » en festivals et à Municipalia (Salon des mandataires), des projections, des stickers, une lettre ouverte aux politiques, un compte Instagram, etc.  Autant de nouvelles occasions pour cultiver cet appétit à s’empuissanter mutuellement et à revendiquer.

Aujourd’hui, nous en retenons…

Ce dispositif aura avant tout été une expérimentation et une aventure humaine, entre le public et nous, travailleur·euse·s associatifs. Ceci est fragile et nous interroge dans nos pratiques. Mais nous y croyons !! Et il aura suscité énormément d’enthousiasme. Traduit-il une recherche de sens à nos actions, à nos vies ? Un besoin de plus d’humanité, de confiance (en nous et les autres) et d’espoir ? Un besoin d’être entendus et vus ? Un besoin de revitaliser nos démocraties ? L’envie d’un investissement politique autre ?

Anyway, derrière chacune de ces voix, il y a une personne qui nous a fait confiance pour porter sa parole. Certain.e.s nous ont particulièrement touché.e.s, et des émotions, sensations, ambiances nous traversent encore. Désormais, nous voilà dépositaires de ces paroles, c’est maintenant à nous de jouer et d’utiliser notre force de frappe, celle des Territoires de la Mémoire. Soyons à la hauteur de nos engagements !

Sommaire du numéro