« Trouver les raisons pour lesquelles on s’aime.
Ce pour quoi on tient plutôt que de s’effondrer. »
(Alexandre Duclos)
Ça a commencé il y a quelques mois, après une conférence sur la politique migratoire dans un contexte de montée de l’extrême droite. Grosse ambiance en perspective ! La conclusion donnée par la conférencière, avocate en droits des étrangers et des femmes (dont l’énergie et la santé mentale semblent encore préservés, ce qui force le respect face à l’ampleur de la tâche), était de reconnaître que « nous avions perdu »… probablement pour quelques bonnes décennies. Qu’il nous faudrait nous serrer les coudes et, tout en continuant nos combats, d’aider, chaque fois que nous le pourrions, les plus vulnérables (personnes migrantes, sans-abri, victimes de violence, le vivant de manière générale, enfin on ne vous fait pas un dessin…). Ce soir-là, je suis rentrée un peu abattue. Sans doute n’étais-je pas la seule.

Au lendemain des élections de juin qui ont signé la défaite d’une certaine gauche, ou la montée d’une certaine droite, Jean Faniel, directeur général du CRISP, évoquait « une gauche qui n’a pas fait rêver1 ». N’y avait-il pas en effet, et n’y aurait-il pas, quelque chose qui mériterait d’être réinvesti, dans ce champ des gauches où on se chamaille plus que nécessaire, dans un grand écart entre recherche de pureté et de radicalité, et concessions parfois colossales (et à la morale douteuse) à ce que l’on prétend combattre, de l’extrême droite aux ravages du néolibéralisme débridé ?
Ce numéro d’Aide-mémoire est, modestement, une tentative de réponse à cela. Un numéro chorale qui ne propose exceptionnellement pas d’articles, d’analyses ou d’entretiens, mais une composition de gestes plus sensibles, moins intellectualistes qu’à l’accoutumée. Il est une proposition d’entraide. Un pari, aussi. Celui de demander à de nombreuses personnes, proches de la revue ou ayant fait un passage par ses pages ou par les couloirs des Territoires de la Mémoire, de répondre aux questions, les mêmes pour tout le monde, de façon personnelle mais dans les formes de leur choix :
En quoi croyez-vous et
qu’est-ce qui vous fait y croire ?
Qu’est-ce qui (vous) fait tenir ? Qu’est-ce qui vous aide ?
Loin d’être une démarche niaise, celle-ci se voulait peut-être plus introspective, positive et aidante, ce qui, par les temps qui courent, ne semble pas de trop.
Si toutes les personnes sollicitées ont manifesté un intérêt – parfois avec force et enthousiasme – pour la démarche, celles qui s’y sont résolument engagées nous ont aussi fait part de la difficulté de trouver réponse à ces questions. Peut-être cela dénote-t-il, même quand on est « bien loti », de la fatigue et du découragement qui guettent tout qui déplore le monde comme il va, du local à l’international. Du temps et de l’énergie qui manquent dans des emplois du temps d’autant plus serrés pour certain.es que l’engagement ne s’arrête pas au seuil du travail, de la maison, de l’association, ou de la manif… bien au contraire. De même, beaucoup nous ont fait part d’un sentiment d’illégitimité : elles n’avaient quand même pas à se plaindre, elles, au vu de leurs conditions de vie ! La culpabilité habite parfois la personne qui milite quand elle dort chaque nuit au chaud, paie sans trop de difficultés ses factures à la fin du mois (ce qui n’est ceci dit pas le cas de tous·tes !), et que son intégrité ou son emploi ne sont pas (encore) menacés. L’humilité était en tout cas largement palpable dans cette réflexion. Personne ne demandant à être plaint, ou ne se prétendant super-puissant.
Une vingtaine de contributions nous seront au final parvenues. J’y découvre, non sans plaisir, des choses similaires, qui se recoupent. Bien sûr, il y a de l’amertume, de la colère, beaucoup, beaucoup de doutes. Mais ce dont elles parlent le plus, c’est de courage, de ténacité, d’optimisme, d’amour, de beauté, d’amitié, de victoires mêmes petites, d’un souci de l’autre et de bien faire jamais démenti, de regards tendus vers le ciel, d’étonnements, de cheminements personnels qui s’entrecroisent. Elles parlent d’être ensemble, de danser, de se souvenir de celles et ceux venu.es avant nous, des autres qui viendront après… Des choses aussi ordinaires que fondamentales et qui, parfois, font une différence. Ces contributions sont une déclaration de position : je ne changerai peut-être pas le monde, mais il y a des choses qui ne passeront pas par moi. Cela m’évoque aussi cette phrase : « Le chemin le plus court pour changer le monde, c’est de se changer soi-même ».
Alors si je me demande comment se manifeste l’espoir pour quelque chose d’aussi difficile que d’essayer de faire un monde un peu meilleur, avec un peu moins de souffrance et un peu plus de justice pour tous·tes, et que je m’en tiens à ces gens qui ont répondu, je me dis que tout n’est pas perdu.
Un grand merci, chaleureux et sincère, à chacun·e d’entre vous qui avez répondu à cet appel, en vous livrant un peu, et à tous·tes les autres qui auraient bien voulu mais qui n’ont pas pu.