L’extrême droite aurait désormais réponse à toutes les grandes questions qui nous inquiètent : pouvoir d’achat, droits des femmes et des minorités, écologie… font désormais partie du package et viennent rejoindre les classiques sécurité, identité, immigration. À croire que l’extrême droite est désormais devenue la force politique qui se met à l’écoute du « peuple », celle capable d’aider les plus vulnérables, les pauvres, les femmes, les jeunes, les chômeurs… à la condition toutefois – n’exagérons pas quand même – qu’ils aient les bons papiers, les bonnes origines, la bonne religion et a minima la culture du pays, et qu’ils – et surtout elles –restent sagement à leur place.
Or non, et l’Histoire en témoigne : l’extrême droite ne rendra pas les pauvres moins pauvres, les femmes et les personnes homosexuelles plus libres et plus safe (bien au contraire), elle ne sauvera pas les paysans et leurs terres et ne fera pas de « l’écologie pour tous », voire pas d’écologie du tout d’ailleurs. Car oui, l’extrême droite est toujours une proposition fondamentalement inégalitaire, réactionnaire, potentiellement violente, et représente une réelle menace pour la démocratie et pour les vies humaines.
Ce numéro d’Aide-mémoire se propose donc de recadrer les fausses propositions de l’extrême droite, qui désigne de faux coupables et prétend répondre aux grandes peurs de notre époque (quant à elles bien réelles). Il nous faut d’abord observer un double mouvement : une extrême droite dédiabolisée, contournant de la sorte les accusations d’incitation à la haine et qui, par un lissage du discours officiel se présente aux yeux de certain.es sous des atours a priori plus « acceptables » (et il convient de questionner à ce titre le rôle des médias dans cette banalisation). Mais d’autre part, un courant politique qui véhicule, cautionne et encourage d’effarants propos et comportements racistes, sexistes et violents, que l’on croyait naïvement appartenir au passé.
Alors pour reposer les bases, il nous faut voir (même si c’est un peu difficile à avaler) combien l’extrême droite, pour de nombreuses personnes, est une promesse et un espoir d’unité, celle d’une nation organique et rassurante fondée sur le même, sur l’identique, attisant dans le même temps les peurs d’une société qui serait « assiégée ». (Nicolas Lebourg)
Ensuite, constater que les méthodes de propagande n’ont pour cela que peu changé par rapport aux années 1930, prétendant « porter la voix d’une société qui ne peut pas parler ». (Jehanne Bergé)
Ces voix qui croient trouver leur salut dans les bras de l’extrême droite, qui pourtant ne se prétend sociale que dans sa phase d’ascension : une fois au pouvoir, elle s’accorde en effet parfaitement avec le capital, le patronat, la finance. Mais ces voix aussi qui n’ont plus été entendues par le camp de la gauche qui s’est en grande partie livré aux lois du néolibéralisme, laissant l’extrême droite braconner sur ses terres. Lutter contre l’extrême droite commence à cet égard par une lutte contre les inégalités sociales et économiques, une rupture avec les diktats du marché et les dégâts monstrueux qu’il occasionne au sein de la population. (Vincent Scheltiens)
À côté des questions sociales et économiques, le volet idéologique de l’extrême droite ne s’est lui aussi purgé qu’en façade, les prétentions féministes et de défense des minorités de genre de l’extrême droite n’offrant qu’un alibi de plus à des politiques islamophobes et racistes, les prétendus droits des femmes et des homosexuel·les étant systématiquement articulés à des propositions anti-immigration. (Archibald Gustin) Sans compter le fait que les positions radicales et réactionnaires ne sont jamais bien loin quand l’extrême droite parvient à capitaliser sur la frustration affective des jeunes hommes, les encourageant à une prétendue masculinité faite de virilité et de domination réaffirmées. (Olivier Starquit) Et c’est sur les réseaux sociaux que ce phénomène des masculinistes, tradwifes et autres antiféministes prolifère, à coups de propos violemment anti-femmes, mais avec les atours glam des influenceur·euses « pimpé·es » et « bodybuildé·es ». (Milena De Paoli)
En revanche, s’il est un domaine où l’extrême droite n’avance pas masquée, c’est sur la question migratoire qu’elle est parvenue à mettre à l’agenda de trop nombreuses formations politiques, tordant le cou au droit d’asile de plus en plus affaibli aux niveaux national comme européen. (Sotieta Ngo du Ciré) Une porosité aux idées xénophobes et au racisme ordinaire que tentent de déconstruire des associations de terrain comme BePax et le Forum des Jeunes. (Gauthier de Locht, Solange Umuhoza et Océane Toukam)
Enfin, s’il est sujet moins attendu bien qu’historique à cet égard, c’est celui de l’écologie. Cette question n’a pas été laissée de côté par les penseurs de l’extrême droite, articulant là aussi le rapport à la nature à la vision d’un peuple homogène, « biologiquement » unifié et évoluant en circuit fermé sur un biotope, un espace vital, à protéger. (Stéphane François) Une vision délirante qui produit, le cas échéant, des formes plus radicales et extrêmes telles que l’écofascisme. (Jonathan Piron)
Alors voilà… le tableau n’est pas bien brillant mais peut-être est-il clair. L’anthropologue politique Alexandre Duclos résume l’extrême droite actuelle en ces termes : « du néolibéralisme avec une proposition d’unité organique d’un peuple fantasmé qui se ressemblerait à lui-même, qui aurait rejeté toute forme d’altérité et qui l’aurait fait sur une base fondamentalement inégalitaire, nationaliste, sécuritaire et identitaire ». On fusionne donc un peuple autour d’une identité clivante, discriminante et exclusive à un groupe, mais en ne changeant rien au cadre néolibéral et donc aux inégalités sociales. Ce qui impliquera des difficultés économiques et sociales de taille pour la population en contrepartie desquelles elle se verra offrir la fierté d’une identité homogène, obtenue par le sacrifice des étrangers 1. Vue de cette façon, l’extrême droite semble avoir quelque chose de facile à comprendre, une cohérence extrême, une articulation de ses thèmes qui apparaît comme évidente. Comprend-on pour autant le choix de voter pour elle ? Terminant ces lignes, j’entends Édouard Louis, fils de prolétaire devenu écrivain, se rappeler : « Ce que j’ai très souvent vu dans les classes populaires, quand on allait voter, on allait voter à l’extrême droite pour des raisons de gauche… parce qu’il y avait une impression que la gauche ne recevait plus ces requêtes-là. Et ça, c’est un espoir immense pour la vraie gauche 2. »
Une gauche avertie en vaudra-t-elle deux ?