Je vote comme je swipe, et les voix se tournent vers l’ombre…

Par Michaël Bisschops président des Territoires de la Mémoire

10 juin 2024 – 7h08 – Neupré

Le réveil est dur, la tête est lourde et l’incompréhension omniprésente. Ce ne sera pourtant qu’un début ! Combien sommes-nous à avoir passé la nuit devant nos écrans, ultra connectés, à regarder l’extrême droite marcher sur l’Europe ? Les urnes ont parlé mais le message est dur et la montée de l’extrême droite inquiète… ou pas ! Nous assistons à la déplorable banalisation d’un nouveau dimanche noir…

Au cœur de cette année électorale à l’actualité sombre, toujours plus sombre, au sein d’une société qui « pulse » toujours plus vite, la polarisation bat son plein et nos politiques vont jusqu’à opposer ingénieurs et poètes, tandis que je divague…

En glissant sur l’écran, on cherche l’âme sœur,

Dans l’isoloir, c’est l’avenir que l’on effleure.

Chaque bulletin est un serment silencieux,

Pour un élu, un amour, un rêve audacieux.

Les promesses électorales sont des serments d’amoureux,

Des mots doux, des discours, tout pour plaire à nos yeux.

Mais comme en amour, la déception peut survenir,

Quand les beaux discours fanent, et la vérité vient s’offrir.

Et si les élections étaient un peu comme un rendez-vous amoureux ? Ce moment où l’on fait connaissance avec nos futurs représentants, où l’on discute, se projette et rêve d’un futur commun, d’un lendemain meilleur. Comme pour une liaison sentimentale, les ingrédients d’une relation politique durable sont la sincérité, le respect mutuel et la transparence. Imaginez cette image romantique, presque poétique de ce grand moment démocratique, où chaque vote est une déclaration d’espoir et de confiance en un avenir partagé.

Mais à l’heure de Tinder, le glissement m’inquiète… « Tinder… Swipe right… » 1, cela n’aura jamais été aussi juste. Tinder, vous connaissez ? Il s’agit de l’application de rencontre où vous faites défiler de potentielles partenaires de romance. Vous glissez votre doigt à gauche, poubelle, vous glissez votre doigt à droite, vous marquez votre intérêt ; si c’est réciproque il y a « match » et une nouvelle aventure peut débuter avec l’éventuel grand amour à la clé. Du romantisme ? Soyons honnêtes, en poussant à l’extrême la polarisation du marché de l’amour, cela ressemble plutôt à une grande boucherie virtuelle avec un éclairage bien ajusté pour rendre le tout beaucoup plus appétissant… Toute ressemblance avec nos dernières campagnes électorales serait-elle fortuite ? Serions-nous tombés si bas dans la marchandisation de la politique, dans la « Tinderisation » de l’élément fondateur de notre démocratie ? Ce swipe désinvolte presque automatique, voire inconscient, serait-il en lien avec la montée des populismes à travers l’Europe et le Monde ? Serait-il le miroir de notre façon de glisser nos bulletins dans les urnes ?

Le populisme se caractérise par une mise en opposition systématique du « peuple » face aux « élites », nourrie par les frustrations et inquiétudes citoyennes. Les populistes utilisent des rhétoriques courtes, simplistes, des images percutantes et des solutions radicales pour capter l’attention et mobiliser les électeurs, jouant à volonté sur la corde des émotions. Le grand cirque de l’image et des slogans accrocheurs. Tinder, quoi… : simple, efficace, souvent mensonger et tellement superficiel !

À l’heure des lois modernes de la communication en 280 signes2 allons-nous tous devenir populistes ? Nous vivons ou subissons le règne de l’extrême polarisation et de la simplification à tout va. Doit-on craindre l’appauvrissement du langage ? Orwell… Assistons-nous à la mort de la nuance et du débat argumenté, remplacés par le règne de la punchline ? Cette évolution menace de réduire notre capacité à dialoguer en profondeur, à comprendre des perspectives complexes et à trouver des solutions équilibrées aux défis sociétaux. Dans un monde où les discours simplistes dominent, la richesse du langage et la subtilité de la pensée critique deviennent des valeurs essentielles à préserver pour maintenir une démocratie saine, vivante et vibrante.

Mon esprit divague encore. La mort des mots, la lente agonie de la subtilité, la mort de la poésie… Vraiment ? La résistance est nécessaire, indispensable et urgente ! Il nous faut nous ressaisir et dans un sursaut, je pense à la dernière exposition des Territoires de la Mémoire : « Fighting for… »

« Même si dans l’fond on est bien nés et qu’on ne tutoie pas les bombes, c’est pas nos fesses devant Netflix qui pourront changer le monde 3. » 

L’espoir est toujours bien présent, quel extraordinaire travail ! Les poètes écrivent ce que les tyrans craignent de lire, et la poésie est donc bien résistance. Entrez dans cette boîte et vous comprendrez la force des mots…

Soyons réalistes, si les poètes n’étaient pas, nous ne serions pas…

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