Quelle que soit la discipline, de la peinture au cinéma en passant par la littérature, la musique ou les arts visuels comme la photo, la vidéo ou les arts numériques, certaines formes de l’art d’aujourd’hui prennent à bras le corps les enjeux de la société contemporaine. Quand elle est engagée, la création veut ostensiblement jouer un rôle essentiel dans la transformation des mentalités en abordant de front les problématiques qui traversent nos mondes, en remettant en question les normes établies, depuis celles qui habitent l’intimité jusqu’aux combats politiques, des guerres jusqu’aux inégalités de toute nature en passant par les changements liés au climat et à l’écologie. Les artistes développent des perspectives uniques, singulières, inouïes, qui permettent au public de se connecter émotionnellement aux enjeux actuels.
Cette capacité à mettre les affects en mouvements et partant, la pensée, permet aux artistes de transpercer, parfois par surprise, les résistances de la raison, le sentiment d’impuissance, l’éducation, les croyances, les a priori ou encore les barrières linguistiques et culturelles. En cela, grâce au partage sensoriel et émotionnel qu’il nous offre d’expérimenter ensemble, l’art est déjà un vecteur de solidarité.
Par ailleurs, certain.e.s artistes ne se contentent pas seulement de refléter ou de déjouer la (dure) réalité. Leurs œuvres explorent également des visions alternatives et des solutions novatrices, revisitent nos héritages et trouvent dans l’histoire, les mythes, les utopies oubliées, voire l’inconscient, matière à proposer des échappatoires et de nouvelles perspectives. Désaliéner radicalement l’imagination du seul cadre de la consommation, de la publicité, de la bien-pensance et du divertissement, est peut-être déjà un pas vers l’émancipation.
Au fond, les artistes, en nous réveillant intérieurement, en nous rendant capables de ressentir des émotions parfois oubliées et partant de là, de penser autrement, ailleurs, peuvent également devenir des catalyseurs du changement subjectif d’abord et – on peut rêver – d’un mouvement collectif ensuite.
Mais avant d’en arriver à cette révolution, prenons à rebours tout ce qui vient d’être dit : dans ses formes les plus abstraites, les plus conceptuelles, les plus formelles, les moins explicites, l’art ne s’indigne pas, ne se rebelle pas, il n’est au service de rien, d’aucune cause, d’aucune volonté de changement, d’aucune alternative. Pourtant, il subsiste comme le caillou dans la chaussure car en se détachant de toute utilité, de tout fonction, de toute instrumentalisation, en ne servant littéralement à rien, il fait déjà œuvre subversive. Dans notre société où tout se doit d’être utile, utilisable, où l’acte gratuit, désintéressé, poétique, tendant à la pureté, voire à l’absurdité, qui ne produit rien que de l’émotion et une certaine forme de beauté et d’éphémère, cet acte vain et désintéressé pourrait bien être le summum de la transgression, du changement de mentalité et de la lutte contre les idées reçues et les attentes.
Se confronter à la création d’aujourd’hui n’aide pas à payer son loyer, à mettre de l’essence dans sa voiture ou à payer ses courses. L’art contemporain ne sert à rien qu’à être perçu et réfléchi. Il n’a aucun autre rôle que celui d’être un miroir qui reflète notre (in)humanité et la façon dont elle s’inscrit ou se détache des réalités multiples et diversifiées du monde qui nous entoure.
MUTANTX, l’édition 2024 de BIP aura lieu du 16 mars au 1er juin dans l’ancienne bibliothèque Chiroux-Croisiers. Retrouvez-nous sur mutantx.bip-liege.org ou sur les réseaux sociaux @bipliege.