Le Mot du président (96)
Par Jérôme Jamin
S’il fallait rapidement et de façon expéditive résumer les défis qui animent notre association depuis sa création, on noterait d’abord la résurgence des fascismes de l’entre-deux-guerres sous des allures différentes dans les années 80 et 90, notamment sous la forme de l’extrémisme de droite, qui ne s’apparente pas directement au fascisme mais qui lui ressemble très fort lorsqu’il s’agit de la force, de la violence, de l’autorité, du racisme, etc. C’est le point de départ de l’aventure, les fondateurs étaient d’anciens résistants ayant connu l’expérience concentrationnaire, pas question de laisser ces pâles mais dangereuses copies remettre au cœur de la Cité un agenda nationaliste et xénophobe. Résister ! Résister ! Une démarche symbolisée plus tard par le Triangle rouge.
Il faut ensuite signaler l’évolution des discours d’extrême droite dans les années 90 en grande partie liée à la législation antiraciste un peu partout en Europe, contrairement aux États-Unis où la liberté d’expression est protégée en vertu d’autres principes. Les législateurs européens, tous pays confondus, ont renforcé le cadre : l’incitation à la haine raciale et à la discrimination est sévèrement condamnée, amende pour les uns, inéligibilité pour les autres, etc. L’effet pervers est connu, le langage de l’extrême droite s’est adapté, un langage codé a fait son apparition, la haine de l’étranger a laissé la place à la défense de la démocratie contre le Musulman certainement intégriste, le rejet du multiculturalisme a ouvert la voie à la défense du patrimoine culturel et identitaire national, un droit fondamental, etc. Mais avoir réussi à changer les mots reste une victoire ! On le sait, la violence est toujours précédée d’une libération de la parole, le massacre des uns est précédé par les injures et les incitations à la haine (« débarrassez-nous de ces cafards »), le génocide des autres est toujours devancé par les caricatures et les appels au meurtre (« si on ne les arrête pas tout de suite, ces rats vont nous exterminer »). En obligeant l’extrême droite à décharger la violence des mots, une partie du danger est sous contrôle. C’est une victoire !
Plus tard, un autre défi est apparu, si les partis d’extrême droite étaient souvent écartés du pouvoir grâce à un cordon sanitaire, un front républicain ou une exclusion des médias, leurs idées traversaient les lignes de démarcation, allant parfois jusqu’à s’inviter dans les salons des partis traditionnels. Ici, l’enjeu est énorme car il faut parvenir à reprocher à des partis qui ne sont pas extrémistes et qui défendent sincèrement les valeurs démocratiques et les droits fondamentaux que certaines de leurs politiques s’apparentent à du nationalisme xénophobe. C’est la fameuses zone grise, l’endroit où il est difficile de séparer clairement l’acceptable de l’inacceptable.
Plus récemment, les réseaux sociaux sont devenus une priorité pour notre association. Non pas à cause de nouvelles formes de discours de haine, rien n’a changé, mais à cause de l’hyper-circulation de ces derniers, la banalisation de leurs contenus, et l’impunité des porteurs de haine, mais aussi des plateformes qui prétendent n’avoir aucune responsabilité précisément parce qu’elles sont des plateformes. Un peu comme si, devant un client malade après avoir mangé un hamburger, le patron d’un McDo disait : « on ne peut rien faire pour vous, on est une plateforme, pas un resto ». Les réseaux sociaux sont comptables et encore une fois les législations européennes vont dans le bon sens en la matière, contrairement aux États-Unis où la liberté d’expression est protégée en vertu d’autres principes.
Et puis la pandémie est arrivée ! Et après quelques hésitations, notre association a vite compris que l’enjeu n’était pas que sanitaire et économique ou psychologique, il était aussi au cœur de la défense des droits fondamentaux. Couvre-feu, violation du domicile, interdiction de manifester, interdiction de se rassembler, obligation de se vacciner, fermeture des magasins, contrôle dans la rue, port du masque, etc. Les régimes totalitaires ont obtenu avec la menace du camp ce que nos gouvernements obtiennent sans violence avec la pandémie. Tout n’est pas dans tout et chaque situation est singulière, mais on ne peut qu’être très alarmé de la capacité des démocraties à devenir autoritaires pendant un an sans aucune protestation ni opposition politique, juste des mécontents et des gens qui en ont marre, pour l’instant…