Le « dialogue citoyen permanent » : une première mondiale en Belgique germanophone
Par Rebecca Gebauer, Sophie Devillers et Min Reuchamps
En février 2019, la Communauté germanophone a initié la première innovation démocratique institutionnalisée : le « dialogue citoyen permanent » (perma-nenter Bürgerdialog). Cet engouement pour les processus rassemblant des groupes de citoyens divers pour délibérer de problématiques sociétales, qui se répand maintenant depuis plusieurs décennies, est souvent qualifié de « vague délibérative » (OCDE, 2020).
La Belgique a participé à l’émergence et à l’intensification de celle-ci via l’organisation de plusieurs dispositifs délibératifs (Vrydagh et al., 2020). L’originalité du dialogue citoyen permanent se situe dans son intégration légale au cœur du système politique (Niessen & Reuchamps, 2019). Initié par des décideurs politiques mais géré par des citoyens, le dialogue citoyen permanent a conclu son premier cycle de fonctionnement et a délivré ses premières recommandations au Parlement de la Communauté germanophone en septembre 2020. Au travers de cet article, nous proposons de revenir sur l’avènement de cette première mondiale.
La mise en place du dialogue citoyen permanent s’inspire d’un processus délibératif pilote sur la petite enfance, organisé en 2017. Partant des expériences positives des participants et de l’opinion favorable par rapport à ce processus au sein de la classe politique, le Ministre-Président de la Communauté germanophone a mandaté un groupe d’experts du G1000 et d’experts internationaux afin de développer un modèle destiné à inclure les citoyens dans les décisions politiques. Ce modèle fut dessiné sur mesure pour répondre aux spécificités de la Communauté germanophone, et a pu être affiné par les parlementaires. À l’issue de ces travaux, le 25 février 2019, le Parlement a approuvé à l’unanimité la mise en place du dialogue citoyen permanent.
Le dialogue citoyen permanent est constitué de trois structures : les assemblées citoyennes, un conseil citoyen et un secrétariat permanent. Les assemblées citoyennes sont composées de 25 à 50 citoyens tirés au sort qui délibèrent pendant plusieurs week-ends afin de rédiger un rapport contenant des recommandations qui sont ensuite adressées au Parlement. Ces assemblées citoyennes sont mises sur pied une à trois fois par an sur demande du conseil citoyen. Ce dernier est composé de 24 personnes recrutées parmi les participants des précédentes assemblées citoyennes. Leur mandat s’étend sur 18 mois, avec un renouvellement d’un tiers des membres tous les 6 mois. Le rôle de cette structure est double. D’une part, le conseil citoyen sonde la population afin d’identifier les sujets qu’elle voudrait voir discutés par les assemblées citoyennes, déléguant ainsi le pouvoir de décision sur l’agenda des discussions à la population. D’autre part, il suit la mise en œuvre par les décideurs politiques des recommandations produites par les assemblées citoyennes. Celles-ci sont contraignantes dans le sens où les décideurs politiques doivent motiver leur décision de les mettre en œuvre ou non. Le secrétariat permanent offre un soutien administratif à ces deux structures. Par exemple, il organise les auditions d’experts lors des assemblées citoyennes, s’occupe de la logistique du tirage au sort de leurs participants, supervise le budget et les relations avec les médias, tout en constituant le point de contact central pour les participants.
Le succès du processus ne pourra être évalué qu’à l’aune de l’engagement des décideurs politiques.
Le premier conseil citoyen fut réuni à l’été 2019, et lança son appel au sein de la population en vue de déterminer l’agenda des assemblées citoyennes. Il fut ensuite procédé à un filtrage des suggestions pour s’assurer qu’elles entraient bien dans les compétences de la Communauté germanophone. Elles furent ensuite filtrées à nouveau pour ne retenir que celles ayant récolté 100 signatures. Le conseil citoyen, parmi les suggestions remplissant ces critères, posa son choix sur le sujet « Les soins nous concernent tous ! Comment améliorer les conditions des travailleurs et des patients ? ».
La première assemblée citoyenne s’est réunie une première fois en mars 2020 puis a vu ses réunions interrompues par la pandémie de Coronavirus et les mesures sanitaires restreignant les regroupements de personnes. Elle a repris ses travaux en septembre 2020, pour trois week-ends de délibération. Les mesures sanitaires ont imposé des restrictions quant au nombre de personnes pouvant interagir en face à face, et au nombre d’experts pouvant être auditionnés. Malgré ces conditions particulièrement difficiles, les participants ont travaillé de manière positive et sérieuse et ont pu identifier quatre sous-thèmes pour lesquels ils souhaitaient formuler des recommandations plus précises. Celles- ci, une fois formulées, furent compilées dans un rapport adressé au Parlement.
À l’issue de cette première assemblée citoyenne, ses membres furent appelés à prendre la place de ceux du conseil citoyen, engendrant ainsi sa première rotation en vue du suivi des recommandations auprès des décideurs politiques. Ceci montre à quel point le conseil citoyen jongle entre plusieurs tâches, particulièrement si plusieurs assemblées citoyennes sont organisées durant la même année. En octobre 2020, la première assemblée citoyenne a présenté ses recommandations lors d’une réunion publique conjointe, en présence de parlementaires et de participants. À l’issue de cette réunion, une autre s’ensuivit, lors de laquelle les parlementaires ont réagi aux recommandations et ont échangé avec les participants. Lors de ces échanges, les parlementaires semblaient clairement avoir la main sur les débats, et les citoyens se sentaient visiblement moins à l’aise d’exprimer leurs opinions et de réagir aux commentaires des élus. À l’avenir, il faudra donc veiller à ce que ce rôle de suivi des recommandations par les citoyens bénéficie de tout le soutien nécessaire à son bon déroulement.
L’existence de ce premier processus délibératif institutionnalisé n’a pas uniquement impacté les politiques publiques et le fonctionnement des institutions de la Communauté germanophone. En effet, il a eu des répercussions bien au-delà en inspirant d’autres institutions à également institutionnaliser de telles pratiques. En décembre 2019, c’est ainsi au tour du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale de modifier son règlement pour autoriser la mise en place de commissions délibératives composées d’élus et de citoyens tirés au sort (Reuchamps, 2020). Le même type de dispositif fut aussi institué par le Parlement francophone bruxellois. Si le caractère « mixte » de ces assemblées est largement inspiré de la Constitutional Convention irlandaise, il s’agit du premier dispositif de ce type à être entériné dans la loi. En 2020, le Parlement de Wallonie a également voté en faveur de la mise en place d’un tel dispositif.
Même si le dialogue citoyen permanent entre dans sa troisième année d’existence, il est encore trop tôt pour en évaluer les résultats, dans la mesure où il doit encore achever son cycle complet de fonctionnement, de la mise à l’agenda à l’implémentation des recommandations, en passant par les délibérations sur les solutions. La réponse définitive des décideurs politiques sur les recommandations issues de cette première assemblée citoyenne est attendue pour juin 2022. En revanche, on peut déjà observer des avancées intéressantes, notamment, comme indiqué ci-dessus, en termes d’influence sur la mise en place de tels dispositifs par d’autres institutions. Aussi, le fonctionnement et la structure du dialogue citoyen permanent semble bien fonctionner. Par-dessus tout, les citoyens semblent graduellement développer une réelle maîtrise du processus. Toutefois, le véritable succès du dialogue citoyen permanent ne pourra être évalué qu’à l’aune de l’engagement des décideurs politiques par rapport à ses recommandations et au soutien populaire pour ces mesures une fois implémentées. Dans tous les cas, nul doute que des temps passionnants nous attendent.
Références
- Niessen, C., & Reuchamps, M. (2019). « Le dialogue citoyen permanent en Communauté germanophone ». Courrier hebdomadaire du CRISP (2426), 5-38.
- OECD (2020). Innovative Citizen Participation and New Democratic Institutions: Catching the Deliberative Wave, <https://www.oecd-ilibrary.org/governance/innovative-citizen-participation-and-new-democratic-institutions_339306da-en> [accessed 26 February 2021].
- Reuchamps, M. (2020). « Belgium’s experiment in permanent forms of deliberative democracy ».
ConstitutionNet, 1-9, < http://constitutionnet.org/news/belgiums-experiment-permanent-forms-deliberative-democracy > [accessed 26 February 2021]. - Vrydagh, J., Devillers, S., Talukder, D., Jacquet, V., & Bottin, J. (2020). « Les mini-publics en Belgique (2001-2018) : expériences de panels citoyens délibératifs ». Courrier hebdomadaire du CRISP, 2477-2478, 5-72.