Archives de l'Aide-mémoire>Aide-mémoire n°79

Résilience

Par Jean-Louis Rouhart

Boris Cyrulnik (cc) ActuaLitté

Boris Cyrulnik (cc) ActuaLitté

Dans ses ouvrages, notamment Je me souviens… (2009), _Les Vilains Petits Canards (2001) ou encore Autobiographie d’un épouvantail (2008), le psychiatre et psychanalyste français Boris Cyrulnik s’est employé à vulgariser et à médiatiser le concept de résilience (du latin resilire, littéralement « sauter en arrière »), c’est-à-dire la capacité à résister à un traumatisme, puis de rebondir, de se reconstruire après le trauma.

Cette situation s’applique à toute victime de catastrophes naturelles ou humaines et singulièrement aux rescapés des camps de concentration nazis. Ceux-ci ont en effet pu survivre aux terribles conditions d’existence qui régnaient dans les camps en s’adaptant et en réagissant d’une manière adéquate au traumatisme quotidien ; plus tard, à leur retour des camps, ils ont retrouvé leur place dans la société, du moins quand leur processus de résilience a pu se développer.

Durant la première phase, les survivants ont pu s’appuyer sur des tuteurs internes (force physique, force morale, valeurs familiales, désir de revoir des êtres chers, désir d’évasion…) et externes (présence de proches sur les lieux de détention, amitié et solidarité entre prisonniers, facteur chance, évasion intellectuelle par la correspondance, l’écriture, les arts…). Pendant la période ayant suivi leur retour des camps, certains résilients ont pu à nouveau compter sur l’appui de tuteurs extérieurs et intérieurs qui ont facilité leur processus de résilience. Ont joué cette fois, en tant que facteurs externes, les institutions sociales qui ont pris en charge les anciens concentrationnaires dès leur retour, les proches, les amis, les êtres chers et les personnes qui, au moment opportun, ont permis une insertion professionnelle et sociale rapide. Quant aux facteurs internes, ils sont à mettre en liaison avec la force morale interne que les rescapés ont forgée durant leur détention et qui trouve généralement son expression dans une volonté de vivre et d’agir peu commune, ainsi que dans une créativité et une imagination débordantes. Certains anciens prisonniers toutefois n’ont pas réuni les conditions nécessaires au développement d’un processus de résilience. Ils sont demeurés des rescapés murés dans le silence (des « épouvantails », pour employer une image de Boris Cyrulnik) et ont souffert tout au long de leur vie des blessures morales encourues durant la déportation. Quand la souffrance s’est faite trop forte, certains ont décidé de mettre fin à leurs jours.

Dans les cas de résilience réussie, au contraire, on enregistre des parcours professionnels et sportifs jalonnés de succès et/ou des créations littéraires, artistiques et musicales d’un haut niveau. Dans ces deux cas, l’abondante énergie vitale dont disposent les résilients est canalisée et sublimée[1], le traumatisme est intégré et métamorphosé en une action politique, philosophique ou artistique socialement acceptable et utile à la société.[2] On retrouve également des manifestations de cette résilience dans la multitude de témoignages oraux que livrent parfois des anciens prisonniers et dans lesquels ils s’efforcent de convaincre leur auditoire de faire montre du même dynamisme et de la même créativité.

Toutefois, le parcours biographique de résilients montre aussi, malheureusement, que ce processus peut s’interrompre brutalement quand une nouvelle épreuve se présente. Il faut savoir que la cicatrice de la blessure encourue dans les camps n’est jamais guérie, qu’elle peut s’ouvrir à tout moment. Le traumatisme reste un point faible qui peut se déchirer sous les coups du sort. Cette fêlure contraint le résilient à devoir « tricoter sa résilience[3] » toute sa vie.

Aussi, certains critiques n’ont pas manqué de faire observer qu’ « une personne résiliente restera impuissant à se libérer des traumatismes qui lui furent infligés », elle « n’est pas libérée de ses souffrances, mais bien asservie aux mécanismes de refoulement et de compensation, aux schémas de comportement qui lui permirent, jadis, de survivre à un environnement hostile. » À noter également que, toujours selon ces critiques, le concept de résilience, en termes d’éducation et de formation, servirait à déculpabiliser certaines personnes qui, au lieu d’agir en êtres responsables, invoqueraient le processus de résilience pour renoncer à leur rôle de guides dans la résolution de leurs problématiques relationnelles et familiales.[4]

  1. Marie-Frédérique Bacqué, « Un merveilleux malheur » : http://www.carnetpsy.com/article.php?id=1142&PHPSESSID=gafjuplmpith1hur66b30p28s3 (consulté le 21/3/2016).
  2. Boris Cyrulnik, Autobiographie d’un épouvantail, Paris, Odile Jacob, 2008, p. 193.
  3. Boris Cyrulnik, Les Vilains Petits Canards, Paris, Odile Jacob, 2001, p. 167.
  4. Marc-André Cotton, « Les pièges de la “résilience” » in Regard conscient, n°14, février 2004 : http://www.regardconscient.net/archi04/0402resilience.html#top (consulté le 21/3/2016).