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Le mot de la présidente : Mars 2016… et après ?

Par Dominique Dauby

Dominique Dauby

Les attentats de Bruxelles, le 22 mars, nous ont rappelé que les citoyen/nes et habitant/es d’Europe, ne sont pas à l’abri des explosions du monde. Paris était proche déjà, mais à Bruxelles ce sont des ami/es, des collègues, des membres de notre famille qui travaillent, venant chaque jour du Nord et du Sud du pays. Sans diminuer en rien l’horreur vécue au quotidien à Alep ou ailleurs, bien sûr, cette proximité nous blesse au cœur, avec une violence insoupçonnée parfois.

Depuis, des textes forts ont demandé pardon aux enfants de ce siècle auxquels nous léguons un monde devenu fou. D’autres se sont étonnés, indignés, que « nous restions à ce point entre nous », ignorant/es des histoires dont sont construites les vies des habitant/es du quartier voisin. Un certain nombre se sont tu, terrassés par l’impression que la fraternité qu’ils/elles appellent de leurs vœux, l’égalité des droits pour laquelle ils/elles se battent tous les jours, se meurent déjà. D’autres encore restent debout la nuit pour penser le monde qui vient…

Quelques jours plus tôt, le 18, l’Union européenne concluait un accord avec la Turquie pour garder loin de nous la misère montante et les peurs qui l’accompagnent. Tous les nouveaux migrants irréguliers arrivant en Grèce à partir du 20 mars 2016 pourront être refoulés vers la Turquie, pays reconnu désormais comme sûr pour les réfugiés, en particulier les réfugiés syriens…

Pour chaque Syrien/ne renvoyé en Turquie, un/e autre Syrien/ne, resté dans un camp de réfugiés en Turquie, pourra être envoyé en Europe… à concurrence de 72 000 personnes seulement. Le Liban, petit pays de moins de 6 millions d’habitant/es, accueille plus d’1,1 millions de réfugié/es syrien/nes, mais l’Europe (743 millions d’habitant/es) pour sa part a estimé qu’elle ne pouvait faire mieux. Quitte à supporter les espaces sans loi, de misère et de violence, que sont Calais en France et Idomèni, en Grèce. Le temps venu, expulsion musclée et gaz lacrymogènes feront le ménage. Jusqu’à la prochaine route migratoire qui vaudra toujours mieux que la mort assurée sous les bombes, jusqu’à un nouveau Calais, un nouvel Idomèni. Le jour où il n’en sera plus ainsi, c’est que l’Europe aura perdu tout attrait, comme espace démocratique, comme espace de liberté, comme espace possible d’une vie décente, y compris pour ses propres citoyen/nes.

Quels liens entre les attentats jihadistes et la politique européenne d’asile ?

D’une part, ne nous voilons pas la face et osons le mot, nous avons peur. Peur des explosions, peur de perdre des libertés chèrement acquises. Peur de voir nos voisin/es, nos ami/es de confession musulmane faire l’objet d’amalgames imbéciles et dangereux. Peur de n’avoir rien à proposer à nos enfants qu’un stupide et mortifère repli sur soi. Qu’il s’agisse d’explosifs ou de barbelés, les raisons d’avoir peur sont bien tangibles.

D’autre part, la tentation est bien réelle de dénier au politique tout pouvoir d’action et, conséquence immédiate, de ne lui reconnaître aucune responsabilité. La police et l’armée sont appelées en renfort, jusqu’à quand et avec quels pouvoirs ? Quant aux décisions européennes, il a bien fallu, quelque part et à un moment donné, que les États et leurs gouvernements en autorisent l’élaboration. Des gouvernements mandatés dans un cadre démocratique…

Sur son blog, Hugues Lepaige cite l’anthropologue Alain Bertho : « La souffrance sociale est soumise à la brutalité symbolique que constitue la perte d’un horizon historique et d’une figure de l’avenir. Nous subissons tous les conséquences culturelles de l’épuisement de la politique moderne qui s’inscrivait dans une histoire et voyait dans l’État l’enjeu et l’instrument central de toute transformation collective. L’impuissance politique se double du spectacle mondial de la corruption des pouvoirs. La perte de crédibilité de la parole des gouvernements et, par extension, de toute parole d’autorité est destructrice de l’espace public comme “usage public de la raison”, comme l’a caractérisé Habermas. »

La (re)construction d’un espace public dynamique et démocratique relève de l’engagement de tous les progressistes, sans angélisme ni sectarisme, ce n’est pas un scoop. Depuis mars 2016, cette (re)construction est plus difficile… et plus indispensable que jamais.