Archives de l'Aide-mémoire>Aide-mémoire n°70

Mots
Guerre

Par Henri Deleersnijder

On l’avait pourtant dit et répété à l’envi que ce serait la « der des ders ». Pensez donc. Après la boucherie de 14-18, qui vit des peuples européens s’entretuer comme jamais et leur continent s’engager dans une longue descente aux enfers, le retour de la guerre n’était décidément plus possible. Le Pacte de la SDN, qui constituait le préambule du traité de Versailles imposé à l’Allemagne en 1919, entendait d’ailleurs régler pacifiquement les conflits entre nations et, mieux encore, conduire le monde vers un désarmement général. On sait qu’il n’en fut hélas rien.

Devançant la commémoration du début de la Grande Guerre, les Territoires de la Mémoire inauguraient, le 8 mai à la Cité Miroir, leur nouvelle exposition permanente « Plus jamais ça ! », proposant à un large public un « Parcours dans les camps nazis pour résister aujourd’hui ». Bref, en cette année 2014, mettre la guerre hors-la-loi était devenu le leitmotiv de quantité d’associations d’éducation citoyenne et de discours politiques magnifiant le retour de l’entente entre pays.

Ce n’est pas le moindre des paradoxes de constater que cette même année a vu la multiplication ou l’intensification de conflits armés. Ce fut le cas en Libye, Centrafrique et au Mali. Ce le fut aussi en Syrie, Irak et à Gaza. Et, last but not least, en Ukraine. Ainsi donc, resurgissait le fracas des armes dans une Europe qui, depuis 1945 et en dépit du violent éclatement de la Yougoslavie dans les années 90, se croyait désormais épargnée des affres de toute conflagration. La fin de l’Histoire – au sens hégélien du terme –, annoncée par Fukuyama au lendemain de la chute du mur de Berlin, s’en trouve dès lors à nouveau remise à plus tard. C’est que Mars a plus d’un tour dans son sac : qui aurait pu imaginer qu’y logeait encore, prête à exploser, la dynamite des fondamentalismes religieux ? Sans parler de l’hydre des plus virulents nationalismes, eux-mêmes taraudés par des ressentiments recuits et des volontés de vengeance débouchant sur les pires actions terroristes.

Mais en matière militaire, les temps ont bien changé : la guerre ne se déclare plus comme en 1914 ; les populations civiles sont de plus en plus sujettes aux pires massacres ; les armées sont en passe d’être robotisées, les drones préfigurant les « cyberguerres » du futur. À quoi il convient d’ajouter un des traits les plus marquants des hostilités en cours dans le monde : les acteurs non étatiques prolifèrent en maints endroits, rendant les affrontements asymétriques. Le fait se vérifie particulièrement dans la poudrière du Moyen-Orient.

Ah ! si les hommes pouvaient utiliser leur sagacité à d’autres fins que celle de la mort ! Ils pourraient de la sorte mettre en place des processus de paix, nourris d’un désir de justice et du souci premier de faire prévaloir le droit. De grandes figures historiques telles que Gandhi et Mandela, conscientes de ce que combattre le mal par le mal s’avère à terme démocratiquement illusoire, y sont parvenues, faisant de la non-violence active une redoutable technique de lutte. Ce sont là des héros exemplaires susceptibles de contrecarrer, chez certains jeunes désemparés, les appels à la haine, notamment distillés par les réseaux sociaux. Internet remplaçant le son du tambour ? On n’est jamais assez prudent face aux usages liberticides des nouvelles applications du numérique. Il ne faudrait pas, en effet, qu’ en cette année d’inflation commémorative l’on se mette à tuer Jaurès une seconde fois…