Le 21 mai dernier, Vincent Scheltiens revenait pour nous sur la dimension économique et sociale du vote d’extrême droite. Une force politique qui braconne sur les terres de la gauche, labourées par 50 années de néolibéralisme, laissant dans le désarroi et la colère une population grandissante. S’ils atterrent, les différents résultats électoraux de ces derniers mois, doivent inévitablement questionner le rôle d’une gauche qui a capitulé sur le terrain économique, laissant un vide… dont certains n’ont pas traîné à s’emparer.
En introduction de votre livre, vous reprenez la métaphore du « trou dans la haie », analogie de la montée de l’extrême droite, par le politicien socialiste Steve Stevaert en 2002.
En effet, Steve Stevaert disait à l’époque que quand on a un trou dans sa haie, s’occuper trop de ce trou n’a pour seul effet que de l’agrandir. Ce qu’il faut en revanche faire, c’est prendre soin de la haie, la nourrir, ce qui aura pour effet de refermer le trou. La signification de cette métaphore est que dans un contexte de montée de l’extrême droite, trop se focaliser sur celle-ci pour s’y opposer n’aurait pas de sens. Il s’agirait plutôt de se préoccuper des problèmes de la société, des frustrations et de tout ce qui fait que les gens se tournent vers l’extrême droite. En dernière instance, je crois que cette métaphore est juste. Quand on constate la présence de l’extrême droite dans une société, c’est qu’il y a un problème en son sein : des aspirations, des revendications, un désenchantement, une colère chez beaucoup de gens, nombre de choses qui ne sont pas entendues. Il faut en chercher la raison et y remédier sur le long terme. Ceci étant, Steve Stevaert n’avait qu’à moitié raison. La présence de l’extrême droite est si forte, partout en Europe et ailleurs, qu’on ne peut plus se taire à son sujet et il faut aller vers les gens qui sont séduits par elle et faire le travail de déconstruction d’un courant politique qui prétendrait soi-disant amener des solutions humaines, sociales, démocratiques pour tous les problèmes rencontrés par la population. Sur le long terme, cette analogie est donc juste, mais sur le court terme il faut agir face à un danger trop présent.
Mais c’est vrai que c’est une question qui se pose parfois : parle-t-on trop de l’extrême droite ?
C’est une question pertinente en tout cas. Il y a deux niveaux : il faut d’une part faire un travail éducatif et parler de l’extrême droite dans toute sa dimension historique, que ce soit avec les jeunes ou les moins jeunes. Expliquer, rappeler ce qu’a produit l’extrême droite par le passé, on ne le fera jamais assez. D’autre part, il y a l’extrême droite du xxie siècle qui, bien sûr, trouve ses racines dans le siècle dernier, mais qui se développe dans un autre contexte. Et cela demande un récit et un combat particuliers. Mais il faut distinguer le travail sur l’Histoire et l’analyse de l’extrême droite actuelle, parce que ce n’est pas en se souvenant de l’extrême droite du xxe siècle qu’on combat celle du xxie siècle. Les gens qui sont attirés sous les drapeaux de l’extrême droite et qui n’ont pourtant aucun intérêt à s’y trouver, ne se voient pas comme des nazis ou des fascistes. Il y en a bien sûr, mais majoritairement ce sont des gens frustrés et dégoûtés par la politique comme elle se pratique, qui ne se sentent plus écoutés, et cela demande d’autres récits.
Vous parlez d’un lien de cause à effet entre l’extrême droite et le capitalisme. Vous dites que depuis le xixe siècle, l’extrême droite a systématiquement « accompagné » le capitalisme et la modernité. Pourriez-vous nous expliquer cela ?
Dès la fin du xviiie siècle et le xixe siècle, avec l’industrialisation et ce qu’on appelle communément « modernisation », il y a toujours eu des forces réactionnaires qui se sont opposées à cette « modernisation » et qui ont voulu faire marche arrière. C’est dans cette lignée qu’à partir des années 1920, après la Première Guerre mondiale, on trouve parmi ces forces réactionnaires une variante spécifique, le fascisme, né en Italie, qui s’inscrit à la fois dans cette lignée réactionnaire mais avec des traits spécifiques, entre autres culturels et esthétiques qui riment avec une certaine modernité. Ce discours réactionnaire de droite s’est d’autant plus cristallisé avec la constitution et le déploiement d’un mouvement ouvrier et du socialisme pour obtenir des droits sociaux et démocratiques. Il a donc pris la forme d’un discours soi-disant social, cherchant à capter la classe ouvrière, les sans-emploi, et prétendant que les syndicats et les partis politiques de gauche n’apporteraient aucune solution pour améliorer leur sort.
Dans sa phase d’ascension, le fascisme historique se présente comme social, faisant concurrence au mouvement ouvrier. Une fois près du pouvoir, il sert le capital
Mais ce discours, déjà à l’époque, n’était que de façade et n’était tenu par ce camp réactionnaire que dans sa phase ascendante. Une fois au pouvoir, on a très bien vu que l’extrême droite est systématiquement devenue un appui à la classe capitaliste. Face à la présence de syndicats et de partis politiques de gauche, socialistes et communistes à partir de 1917, les élites et pouvoirs économiques ont craint des révolutions de gauche et la possible mise à mal de leur taux de profit. C’est dans ce genre de moments qu’est recherchée une direction politique plus combattive, plus violente aussi, avec pour but de faire reculer et de casser le mouvement ouvrier. C’est ce rôle que joue le fascisme historique dans les années 1920 et 1930 quand il vient au pouvoir. Il y a donc une différence majeure entre le fascisme comme mouvement et le fascisme comme régime. Pour le résumer un peu schématiquement, dans le premier cas, il se présente comme social, faisant concurrence au mouvement ouvrier. Et une fois proche du pouvoir, il sert le capital.
Qu’en est-il aujourd’hui, d’autant plus avec la variante néolibérale du capitalisme ?
Aujourd’hui, on pourrait dire que les actuels partis d’extrême droite présentent une utilité pour une classe capitaliste, à ce détail près que, d’une part, le capital n’a pas de problème pour assurer ses taux de profit, et d’autre part, qu’il n’y a pas de danger de révolution socialiste. En Europe, seule l’Espagne a actuellement un gouvernement de centre-gauche avec un partenaire de gauche. Partout ailleurs, la gauche, soit est minoritaire et sur la défensive, soit reprend dans une large mesure les politiques de droite sur l’asile et l’immigration. Et quand on voit par exemple le capital allemand aujourd’hui, il dépense des millions dans des campagnes de propagande contre l’AfD, le parti d’extrême droite, parce qu’ils n’en ont pas besoin. C’est important de comprendre cela, parce que le récit selon lequel « l’Histoire se répète », « les capitalistes veulent à nouveau le fascisme », c’est trop mécanique et en ce moment, cela ne se vérifie pas comme ça, ça n’est pas la conjoncture actuelle. Cependant, en cas de crise majeure, cette conjoncture et les choix politiques pourraient vite changer. Par ailleurs, cette analyse ne signifie pas pour autant qu’il n’y a pas de danger aujourd’hui. On voit comment la droite ouvre de plus en plus la porte pour des alliances (ou des appuis) avec l’extrême droite, avec l’aval des élites et dans une certaine autonomie de ces forces politiques. C’est le cas en Finlande, en Suède, sans parler de la Hongrie et de l’Italie évidemment. Au Pays-Bas, un gouvernement d’extrême droite s’est constitué également avec des forces de droite. En France, une bonne partie des anciens gaullistes s’allie à l’extrême droite. Un peu partout en Europe la prétendue centre-droite, ou droite classique, baisse le pont-levis pour l’extrême droite.
Et les liens avec le néolibéralisme sont également clairs : on ne peut que constater les effets de près de cinq décennies de néolibéralisme qui ont cassé beaucoup de tissu social, créé un désarroi énorme parmi des familles travailleuses, ont fait capituler une grande partie de la gauche pour les postulats néolibéraux et ont créé un vide politique. La politique ayant horreur du vide, c’est l’extrême droite qui s’y est engouffrée, là où des familles politiques sociales-démocrates, démocrates-chrétiennes ou même libérales occupaient auparavant le terrain.
À côté de la dimension économique, qu’en est-il des aspects identitaires et idéologiques du vote d’extrême droite, dans un contexte de racisme ordinaire et structurel mais aussi de polarisation des débats sur les questions liées au genre par exemple ?
Bien évidemment, cette extrême droite qui vient avec des discours par exemple sur le pouvoir d’achat, le fait toujours en articulant cette question à celle de l’immigration, des « étrangers » et d’un propos xénophobe. Le programme de base de tout parti d’extrême droite repose essentiellement sur deux choses qui vont de pair : fermer les frontières (physiques et mentales) et homogénéiser à l’intérieur de celles-ci. Que ce soit l’AfD, le Vlaams Belang, le PVV de Geert Wilders, la colonne vertébrale du programme est celle-là. Éviter que les effets de la globalisation arrivent jusqu’à nous et « nettoyer » à l’intérieur. Et c’est aussi une réponse aux effets du néolibéralisme qui se font sentir aujourd’hui de façon beaucoup plus forte qu’il y a 40 ou 50 ans. Les gens sont en difficulté ou craignent de l’être dans un avenir proche, cela explique en partie le vote pour l’extrême droite, que ce soit dans les zones périurbaines ou rurales. Et le programme de l’extrême droite, qui travaille sur cette peur, mise sur une hiérarchisation des rapports sociaux entre ceux qui ont des droits et ceux qui, étrangers par exemple, ne devraient pas en avoir ou devraient être jetés aux frontières du pays. C’est le fameux « notre peuple d’abord ».
Cela me fait penser à une phrase d’Emmanuel Terray, anthropologue français, qui disait qu’« être de droite, c’est avoir peur ». Qu’est-ce que cela vous évoque ?
Oui, c’est très juste. C’est sur cette peur que capitalisent très souvent l’extrême droite et la droite, avec cette image de l’envahissement, du déplacement, de l’impossibilité d’être encore soi-même, du bien-être perdu, etc. Et puisque la peur est un sentiment irrationnel (sur base de données qui, elles, peuvent être tout à fait rationnelles bien sûr), il est difficile de la combattre dans la rationalité. On se retrouve ainsi sur un terrain conflictuel où il faudrait répondre à la même hauteur et avec une même intensité mentale et sentimentale.
Quelles sont les responsabilités de la gauche dans cette situation ?
D’une part, il y a, à partir des années 1980, la capitulation d’une grande partie de la gauche en faveur du néolibéralisme. Avant cela et depuis l’après-guerre, on avait construit des États sociaux, Welfare States, en tout cas en Europe de l’Ouest et du Nord. Cela fonctionnait sur base d’un triangle d’accords clairs où chacun exerçait un rôle : les détenteurs de capital dans l’économie, l’État en s’occupant des services publics (écoles, hôpitaux, transports publics, etc), et les représentants du mouvement ouvrier dans un rôle presque institutionnalisé. Le néolibéralisme a cassé cet accord triangulaire en empêchant l’État de se mêler de l’économie, le réduisant à une sorte d’arbitre pour laisser faire les détenteurs de capitaux, le mouvement ouvrier devant quant à lui être repoussé au maximum. C’est ça le néolibéralisme. La gauche et les démocrates-chrétiens ont suivi cela, avec quelques écarts de vitesse. Et l’usure a fait le reste. Dans ce système, les forces politiques n’ont plus trouvé d’alternative de société à défendre que ce qui était en train de se faire.
Le programme de base de tout parti d’extrême droite repose essentiellement sur deux choses qui vont de pair : fermer les frontières (physiques et mentales) et à l’intérieur de celles-ci, homogénéiser
En outre, une autre soi-disant alternative de gauche a fait faillite qui nourrissait chez beaucoup de gens en Europe de l’Ouest l’illusion qu’il existait quelque part dans le monde, à l’Est, un système alternatif avec plus d’égalité, de démocratie, de socialisme. Et puis, le Mur est tombé et on a pu voir qu’il s’agissait d’un mélange de pénuries et de dictature. Au tournant du siècle, les deux grands idéaux de la gauche d’après-guerre, se sont donc trouvés en panne. Et on a toujours aujourd’hui une gauche déboussolée dont on ne sait pas quel est le vrai programme, hormis faire un peu plus de social que les autres. Une gauche, qui auparavant faisait rêver, qui était une force d’attraction crédible, est devenue une force appauvrie, se réduisant elle-même « au moindre mal », au « sans nous c’est pire ». Il va falloir la reconstruire, peut-être pas avec le même drapeau, les mêmes mots et les mêmes recettes, mais il faudra dire encore et encore qu’un autre monde est possible. Créer un horizon d’attente, un imaginaire attractif, une utopie concrète. Malheureusement, l’extrême droite présente ces traits là aujourd’hui… sauf que c’est un mensonge.
Peut-on éclaircir le rapport que l’extrême droite entretient avec l’Europe ? Giorgia Meloni à la tête de l’Italie semble finalement s’y retrouver en matière de politique européenne.
C’est effectivement un débat très actuel. Tout le monde pensait que Meloni allait imposer une politique d’immigration différente, plus dure encore. Or le fait qu’elle doive rester dans le carcan de l’Europe et de l’Otan peut faire dire à certains qu’elle ne représente finalement pas tant un danger que ça. Ceci dit, ce à quoi nous sommes en train d’assister, c’est que les différents partis d’extrême droite européens renforcent leur prise sur l’Europe. Cela se ressent aussi dans le discours d’Ursula Von der Leyen qui se retrouve face à un basculement du rapport de force au sein de l’Union européenne, avec des forces politiques hongroises, italiennes, suédoises, finlandaises, hollandaises, espagnoles et françaises, qui veulent transformer l’Europe en s’alliant à des forces conservatrices de droite. Plusieurs de ces partis d’extrême droite qui rejetaient la construction européenne en défendant un repli national voient maintenant des possibilités de commencer à contrôler partiellement les politiques européennes, et certainement de peser lourdement sur tout ce qui concerne l’asile et l’immigration.
Parlons plus spécifiquement de la Flandre, quelle est la nature du vote pour le Vlaams Belang ? Qui sont les électeur·rices ?
Il y a évidemment mille motivations à voter Vlaams Belang. Ce parti a traversé des phases de développement et s’est largement normalisé, notamment dans les médias flamands. On peut vouloir voter pour le VB pour faire mal aux autres partis. On va ainsi retrouver des gens mécontents de l’état des routes, du coût de l’énergie, etc. Maintenant, il y a évidemment des raisons spécifiques, motivées par une certaine légitimité historique du nationalisme d’extrême droite dans certaines couches flamandes minoritaires. C’est une légitimation qui vient de la Deuxième Guerre mondiale où une grande partie du mouvement flamand a collaboré avec les nazis. Ces gens se sont sentis punis hors proportion, c’était en tout cas leur récit et celui-ci s’est perpétué dans une certaine sous-culture flamingante dont fait partie le VB. Cette légitimité n’a en revanche pas été transmise par les collaborationnistes en Wallonie.
Ensuite, il ne faut pas oublier le rôle de la NVA qui aide à normaliser les idées du VB. Ces deux partis fonctionnent aussi comme des vases communicants. Et l’absence de cordon sanitaire médiatique dans la presse flamande a contribué à cette normalisation. D’autant qu’en gagnant des voix, ils ont gagné des sièges dans les conseils d’administration des télévisions publiques, théâtres, opéras, etc., ce qui a augmenté leur influence. Et donc, aux yeux des gens, l’écart pour voter VB s’est réduit.
Enfin, d’autres éléments à ne pas sous-estimer sont à retrouver dans le nationalisme et le racisme. Un nationalisme étroit et fanatique et un racisme réel considérant que ceux qui viennent de l’étranger sont inférieurs. Et ces gens pensent qu’en arrêtant de « payer pour les étrangers » (ou pour les Wallons d’ailleurs), leur sort va s’améliorer en termes de soins de santé, de salaire, etc. C’est ce qu’on appelle du social-nativisme, « les nôtres d’abord ». Mais il nous faut rappeler que ces propositions sont fallacieuses et irréalisables, d’autant que la seule possibilité pour le VB d’entrer au gouvernement est de s’allier à la NVA qui n’est pas là pour mettre en œuvre des recettes sociales. Lors des élections du 9 juin 2024, cette possibilité de « majorité ensemble » n’a heureusement pas pu être testée par le VB puisque, de justesse, ils n’arrivent pas à une majorité entre les deux formations. Mais pour les élections communales du 13 octobre, il est clair que à plusieurs endroits, le cordon sanitaire politique sera cassé par des politiciens locaux n’hésitant pas à s’allier à l’extrême droite.
On a jusqu’ici pour habitude d’opposer à la Flandre une Wallonie encore préservée de formations d’extrême droite. Quel est votre regard sur cette comparaison entre régions ?
Pour moi, il y a deux questions. Premièrement, y a-t-il une fatalité flamande ? Et deuxièmement, y a-t-il une immunité wallonne ? Et la réponse est non aux deux questions. Les difficultés du Wallon sont globalement les mêmes que celles du Flamand : désarroi, frustrations, craintes. À ceci près qu’elles se canalisent jusqu’à présent dans des directions politiques différentes. Mais pour combien de temps ? On a vu un basculement vers la droite le 9 juin, qui pour moi est le trait le plus marquant de ce scrutin. Bien sûr, il faut dire que l’extrême droite francophone présente certains handicaps que ses pendants flamand ou hollandais n’ont pas. Il y a également le maintien du cordon sanitaire politique et médiatique, mais qui n’empêche pas les déclarations de Georges-Louis Bouchez ou les propos racistes de Jeholet, etc. Pour l’instant, le seuil des 5 % ne parvient pas à être franchi par le parti Chez Nous. Et les mobilisations syndicales et associatives, cet antifascisme exemplaire, empêchent le parti de traverser ses premiers seuils de développement, de tenir des congrès et de devenir un point d’attrait pour des gens mécontents. Enfin, comme je l’ai dit, il n’y a pas cette légitimité historique qui, malheureusement, existe dans une part du mouvement flamand et d’un public flamingant. Mais il nous faut reconnaître que la tentative de Chez Nous est un peu mieux élaborée que les précédentes. On peut aussi relever que, dans les pays où l’extrême droite est passée au pouvoir, les partis socialistes n’étaient plus des partis politiques de masse, avec des sections, des militants, des activités à la base, des fêtes et une proximité avec les gens. En Wallonie, c’est peut-être encore un peu le cas avec le parti socialiste, avec ses avantages et désavantages. Et là justement, sur ce plan, le basculement du 9 juin signifie un coup dur énorme. En même temps, cela devrait convaincre la gauche de se ressaisir fondamentalement comme force d’opposition, de reconstruire un récit alternatif et de se réorganiser. N’oublions pas que le terreau de l’extrême droite est le même qu’en Flandre.
L’union des gauches pose en effet elle aussi question dans ce contexte…
En effet, et cette désunion entre gauches plus traditionnelle et plus radicale est non seulement franchement agaçant, mais aussi contre-productif. Il faut plus que jamais qu’elles s’allient dans une entente, une accumulation de forces pour peser et faire barrage à la droite et à l’extrême droite, comme on le voit actuellement en France avec cette tentative de Nouveau Front Populaire. Et pour cela, il faut que les sectarismes qui existent dans tous ces partis soient cassés. Mon opinion personnelle est que le syndicat peut jouer un rôle crucial dans cette situation, notamment la FGTB qui compte tout de même un million et demi d’affilié·es, en avançant un cahier de revendications pour mettre sous pression tous les partis de gauche. C’est ce qui a été fait en Espagne de justesse après le scrutin de juillet 2024 : pour faire barrage au couple infernal droite-extrême droite, toutes les gauches se sont unies, y compris les nationalistes catalans et basques, non pas par accord de fond – bien au contraire – mais pour permettre un gouvernement de gauche. C’est une forme de pragmatisme politique. Or, ce qu’on voit en Flandre, c’est que les partis de la social-démocratie et le PVDA (branche flamande du PTB) ne parviennent pas à récupérer des voix au VB. Dès lors, voulant tout de même chacun avancer, que font-ils ? ils s’attaquent l’un à l’autre. Et quand j’entends dire qu’il faut combattre l’extrême droite mais aussi les extrémismes au pluriel, c’est une erreur non seulement stratégique mais aussi fondamentale et programmatique. L’axe n’est en effet pas le centre face aux extrémismes, l’axe ce sont les droits et les libertés démocratiques et sociaux. La question est : comment les partis politiques se positionnent-ils en regard de cet axe-là ? C’est tout.
Et c’est bien là-dessus que se trace la frontière fondamentale avec l’extrême droite. Si demain, un parti de gauche ou d’extrême gauche se dit opposé aux droits des femmes ou aux quelques droits des personnes trans par exemple, qu’il veut abolir le droit de se marier pour les couples homosexuels, interdire l’avortement ou casser les syndicats, alors on sera contre ces partis de gauche parce qu’ils seront une menace pour les droits sociaux et démocratiques. Mais c’est avec l’extrême droite qu’il y a un problème à cet égard, pas avec l’extrême gauche. N’oublions pas d’ailleurs, sur cet usage du terme « extrémisme », que les premières femmes qui se sont levées pour défendre leurs droits les plus élémentaires, étaient désignées comme des extrémistes, de même pour les ouvriers qui ont commencé à se mobiliser et à s’organiser pour leurs droits. Tous ces gens n’ont pas uniquement été accusés d’être des extrémistes, mais aussi d’être des criminels.
Maintenant, il faut une alternative de gauche avec des revendications positives, dont certaines existent déjà notamment au sein des syndicats. Il faut par exemple une grande offensive pour la réduction collective du temps de travail. Et en mettant cela à l’agenda, on pourra d’office parler des inégalités hommes/femmes, du burn-out et des maladies professionnelles, de l’impôt sur la fortune, etc. C’est aussi comme ça qu’on pourra rattraper tous ceux qui sont devenus passifs en politiques, ou qui sont allés voir du côté de l’extrême droite.